Avec les yeux du cœur
Il y a dans la vallée un grand silence, les sapins et le ruisseau le connaissent bien et le renard qui tous les soirs vient chercher pitance ne s’y trompe pas, c’est le silence de ces fins d’hivers lorsque une vie ne se relève pas.
Reine était née en 1928, le jour des Rois, ce jour où l’étoile nous visite annonçant la Lumière et avait choisi une petite vallée perdue pour venir fonder une famille avec Domnin Gilly en 1948 au Moulin, cette petite maison au bord du ruisseau si chère aux cœurs des Lavergans.
Elle avait emporté avec elle l’air doux de Vilhosc, ce village d’enfance tissé de soleil et de vent et c’est peut-être ce soleil d’enfance qui nous parle le mieux d’elle.
Ce soleil teintait dans sa voix, baignait son sourire et ce petit regard espiègle qui comprenait tant de la vie, la vraie, celle qui passe si vite et qu’elle s’appliquait à déguster comme on boit un précieux breuvage, lentement, passionnément, avec force et vigilance et de ce pas léger qui sait s’étonner de tout, s’intéresser à tout, parler de tout, avec les yeux du cœur.
La vie ne connaît que les yeux du cœur et cette trace de mystère sous ses pas..qui nous sauve chaque matin des filets du temps qui passe et en ce heurt singulier nous rend si vibrants, rayonnants.
Rayonner, c’est voir large, irradier de mille feux autour de soi, ciseler la moindre parcelle du présent pour en faire un petit trésor.
Qui n’a pas goûté au moins une fois au Moulin de ce petit trésor au détour d’un repas, d’une visite, d’une partie de cartes avec ce geste bienveillant qui invite à entrer en conversation pour le plaisir simple d’être là, de se savoir accueilli et en sécurité autour du feu..et de parler du Vallon, puisque tant que la parole circule des uns aux autres comme l’eau vive, tout va bien.
Au bord de la route qui mène au fond de la vallée, juste en dessous, comme perdue au milieu de l’espace, une lumière toujours veillait, hospitalière et douce, signe de vie, refuge et vigie dans le vaste monde.
Reine, le fil fragile de la mémoire des Anciens vibrait au creux de ta voix et vient de s’éteindre lorsque, fidèle à l’étoile qui t’a vu naître, après avoir trébuché à Noël tu es allée doucement rejoindre la Lumière au soir du 18 février 2025.
Veillée de tout près, avec ferveur, au quotidien par tes enfants et petits enfants et de plus loin par chaque lavergan qui a croisé tes pas.
Nous savons tous au fond de nos cœurs qu’il n’y a pas d’âge pour être un soleil et lorsqu’il disparait à l’horizon la nuit encore parle de lui à travers les étoiles.
