Dernier col
29 juillet 1944, Jean Lippmann et Jacques, son fils ainé, s’enfoncent dans le sous-bois de mélèzes et prennent le chemin du Col La Pierre.
Ils doivent participer le soir même à une réunion de l’Etat major de la Résistance au lieu-dit les eaux Chaudes, sur la commune de Prads en haute Bléone. Eva Lippmann embrasse son père, elle ne sait pas encore que c’est la dernière fois.
Eva écrit dans ses mémoires que « La vie au maquis a été une aventure belle et exaltante, mais dure et parfois tragique. J’ai eu bien souvent peur pour moi mais le plus souvent encore pour mes camarades quand je les voyais partir en embuscade. Je n’oublierai jamais ce matin du mois de juillet 44 où j’ai vu mon père pour la dernière fois. Il partait pour une réunion des chefs de la Résistance de la région qui devait se tenir dans la haute vallée de la Bléone, au-dessus de Digne. Il était souriant, confiant, il m’a embrassée et je l’ai regardé s’éloigner sous les mélèzes… »
Jean avait passé bien des cols au cours des derniers mois : les accords signés à Saretto le 31 mai 1944, entre résistants français et italiens, lui avaient donné la charge de l’organisation et de la coopération militaire entre les deux versants. La frontière, ses cols, ses chemins dangereux n’avaient plus de secrets pour lui. Le débarquement des Alliés avait eu lieu le 6 juin en Normandie : tout le monde savait que la victoire était proche désormais. Les Lavergans avaient aidé et soutenu le maquis dont il était le chef. Ils avaient participé aux combats du Plan de la Tour du 6 au 9 juin 1944 pour protéger Barcelonnette momentanément libérée. René Gilly y avait laissé la vie.
Jean ne reviendra pas au Laverq. Il sera capturé, maltraité et fusillé par les Allemands. Eva en a fait le récit :
« Le lendemain avant même que le jour se lève plusieurs camions de soldats allemands partis de Digne remontaient cette vallée (la haute Bléone) et cernaient la maison où étaient réunis les chefs de la Résistance. Les maquisards étaient bien armés, la bataille dans la nuit fut confuse et les maquisards (mon frère Jacques y était) purent s’échapper…sauf mon père, le plus âgé de tous. Dans le même temps un autre groupe d’allemands attaquaient un peu plus haut dans la vallée une infirmerie de maquis ; là aussi une partie des maquisards alertés par le bruit des armes de l’attaque du PC purent s’échapper sauf six d’entre eux malades ou blessés. Devant l’infirmerie en flammes ils furent fusillés avec mon père. Je ne l’ai su que quelques jours plus tard… mais ce malheur n’a fait que confirmer mon engagement dans la résistance. »
On sait aujourd’hui par les témoignages, dont ceux du Capitaine Lecuyer et du Maire de Prads que Jean a été humilié, sévèrement battu et abattu dans le dos comme ses camarades à la mitraillette. On sait aussi que les résistants avaient été dénoncés à la Gestapo de Digne par un homme infiltré, qui s’est ensuite enfui. L’officier allemand qui a donné l’ordre de tirer a été condamné à mort à la Libération, puis gracié.
Une plaque apposée à l’Abbaye rappelle l’existence de ce maquis et l’appui apporté par les Lavergans. Une cérémonie à l’initiative de l’association « Les Amis de la Résistance en Ubaye » en rappellera le souvenir le 15 août prochain au Laverq.
Photos dans l'article : collection privée Famille Lippmann.
Image page d'accueil : Archives Départementales des Alpes de Haute Provence 70 FI 435, arrestation à Lambruisse en 1944, photo allemande.