Des yacks en Ubaye
Des yacks sont arrivés à Barcelonnette.
Non ce n’est pas Lucien qui a ramené des yacks de son lointain voyage, il a seulement pris de belles photos…
C’était il y a bien longtemps, en 1854, le ministre de l’Instruction Publique, soucieux du progrès rural, faisait une proposition au préfet des Basses-Alpes :
« Monsieur de Montigny, consul à Shang Haï, a récemment amené en France un troupeau d’yacks ou bœufs à queue de cheval qui a été provisoirement placé au Museum d’histoire naturelle de Paris. Ces animaux, originaires du Tibet, possèdent des qualités qui rendent très précieuse leur introduction dans notre pays, au double point de vue de l’agriculture et de l’industrie. Ils peuvent être très utilement employés comme bêtes de somme ou de trait, et devenir ainsi un excellent auxiliaire de l’habitant des montagnes. Leur fourrure présente tous les caractères de la laine la plus propre à être cardée et filée fin. Les yacks sont très sobres, se nourrissent des herbes les plus courtes, prospèrent aux limites des neiges éternelles et n’ont pas besoin d’abri contre le froid et le mauvais temps.
J’ai pensé qu’à raison de ces qualités particulières, un couple de cette espèce pourrait être très avantageusement placé dans le département des Basses Alpes. Je suis, en conséquence, disposé à attribuer au Comice Agricole de Barcelonnette deux spécimens choisis dans le troupeau du Muséum, savoir : un taureau noir sans cornes (excellent reproducteur) et une vache noire sans cornes (actuellement pleine). Je vous prie, Monsieur le Préfet, de vouloir bien me faire connaître dans le plus court délai, si le Comice se chargerait volontiers de recevoir ces animaux et de veiller à leur acclimatation… »
Le comice agricole, qui est présidé par le sous-préfet, s’empresse d’accepter la proposition. Les yacks arrivent par le train jusqu’à Lyon, où un responsable de Barcelonnette les prend en charge pour la suite du voyage et les héberge.
Ils vont être bien soignés, régulièrement visités par un vétérinaire, ce qui va donner lieu pendant plusieurs années à tout un travail administratif de notes, courrier, factures…
Qu’en a-t-il été de cette introduction d’espèce ?
On le verrait encore de nos jours si elle avait réussi. Pour les animaux pas de problème : ils se sont adaptés, mais pas les agriculteurs Bas Alpins !
On a finalement confié les animaux à Etienne Monnier, au Vernet Haut, qui en a pris soin sans en tirer profit, mais ne sait plus trop quoi en faire. Son dédommagement est toujours compliqué.
Quinze ans plus tard en 1871, il y a 5 yacks pur-sang et 3 hybrides, car on peut croiser les yacks avec les bovins, mais les habitants refusent de faire saillir leurs vaches. Voici ce qu’en dit Mr Charles Fauchier, résidant à Mézel, qui est le secrétaire de la Société d’Agriculture :
« Les yacks sont depuis bien longtemps un sujet d’embarras pour la Société d’Agriculture et la dépense annuelle qu’ils occasionnent est d’environ 400 F… En ma qualité de membre de la Société Impériale Zoologique je suis bien aise de continuer quelques études sur les yacks et juger par moi-même si ces remplaçants du cheval, du bœuf et du mouton sont vraiment utiles. Théoriquement je crois qu’ils ne remplacent rien ; que pour remplacer il faudrait n’avoir ni bœuf, ni cheval, ni mouton, enfin que le yack est un mauvais mouton, un mauvais cheval, un mauvais bœuf. Quoi qu’il en soit je suis disposé à accepter 2 yacks, je m’oblige à les faire soigner et travailler convenablement et à ne pas les vendre pour la boucherie… »
Mr Gombert et Mr De Salve se proposent aussi de prendre « gratis » un ou deux yacks. Mais la proposition n’est pas acceptée. Sachant que Mr De Salve est établi à Reillanne, les yacks se seraient pas mal éloignés des cimes enneigées.
On pense alors à renvoyer les yacks à Paris, en argumentant que les animaux du Jardin d’Acclimatation ont été massacrés pendant le siège de Paris.
On fait le point des pur-sang : il y a la vieille mère, de couleur noire, dont on ne sait pas l’âge. Sont nés 3 males blancs : 5 ans, 3 ans et 3 mois en septembre 1871, et une femelle noire de 4 ans. Le premier mâle « bon reproducteur » n’est donc plus là… Les 3 hybrides appartiennent au gardien Etienne Monnier : demi-sang et trois-quart-sang, il veut bien les remettre aussi à l’administration.
Finalement la solution est royale : un télégramme du jardin d’acclimatation en date du 9 octobre 1871 annonce au préfet : « Roi d’Italie accepte troupeau yaks. Nous chargeons Berthelin Directeur Postes de prendre mesures pour expédier à Turin, pouvez-vous garder animaux quelques jours pour préparer envoi. Réponse payée vingt mots. » La réponse en vingt mots (et non vains mots comme nous préciserait Bernard) a dû être positive puisqu’on ne voit plus de vache à queue de cheval en Ubaye.
sources : Archives Départementales des Alpes de Haute Provence, liasse 7M030.