La bonne madame Allemand
Dans le journal de Barcelonnette du 23 aout 1896 on pouvait lire cet article qui titrait : Méolans, une juste récompense.
« Nous sommes heureux d’apprendre que l’Académie française a décerné cette année à madame Allemand, de Méolans, un prix Montyon de la valeur de mille francs.
Depuis plus de trente ans, la « grande maman » (c’est ainsi que familièrement on appelle madame Allemand) s’est rendue populaire dans la vallée par le dévouement dont elle fait preuve soit en élevant les enfants confiés à sa garde, soit en soignant les malades et les malheureux.
Madame Allemand n’est pourtant pas riche, elle a de lourdes charges de famille, elle aurait pu comme tant d’autres ne se consacrer qu’à ses devoirs de mère et d’épouse. Son cœur inépuisable n’a pu se restreindre à ce rôle et l’on ne compte plus les bienfaits qu’elle répand autour d’elle, sans compter, en brave femme qu’elle est, compatissante à toutes les souffrances, à toutes les douleurs.
Un tel exemple de bonté et d’abnégation méritait bien l’éclatante récompense que l’Académie française vient d’attribuer à notre compatriote.»
Quel est ce prix ?
Bien que ce soit peu médiatique, il faut savoir que l’Académie française dispose de nombreuses fondations destinées à des œuvres sociales. Ainsi pendant plus d’un siècle elle a pu attribuer des prix annuels au titre de la donation du riche baron de Montyon, bientôt suivi par une multitude d’autres donateurs. Les fondations ayant été regroupées, les œuvres sociales et les prix se poursuivent de nos jours encore.
Ce prix Montyon devait récompenser : « un acte de vertu dont l’éloge ou le récit sera fait dans une assemblée publique par le Directeur ». Ce terme de vertu s’est rapidement imposé au sens moderne d’énergie morale et de courage, et non plus au sens vieilli d’honnêteté ou pudeur. Il faut préciser que ce discours annuel et solennel sur la vertu, rédigé par les derniers membres nommés, a embarrassé plus d’un académicien, obligé de faire une brillante éloge d’un acte de bravoure ou d’une vie de dévouement, car il est difficile d’innover en la matière. Parmi les lauréats des prix de l’année 1896 il y a donc madame Allemand de Méolans, qui reçoit la belle somme de mille francs.
Qui était à l’origine de la demande pour cette « juste récompense », le maire, l’instituteur, le curé ? On ne sait pas…
Mme Allemand c’est « Antoinette Derbez », l’épouse de Jean Baptiste Allemand. Le couple vivait au hameau du Martinet à Méolans, Antoinette y est décédée en 1908 à 80 ans.
Mme Allemand était nourrice pour l’aide sociale, les services départementaux lui confiait nourrissons et enfants. A l’opposé des mauvaises nourrices rencontrées par l’inspecteur, qui sous sa plume sont dites « excitées par une cupidité sordide »*, madame Allemand était de toute bonté avec les enfants. Avec sa famille aussi, ses petits enfants qu’elle a gardés, ainsi qu’une nièce qu’elle a élevée pour une belle sœur handicapée...
D’où lui est venu ce sens du dévouement ? Peut-être de son environnement familial et de sa propre enfance ?
En recherchant son état civil, on constate qu’Antoinette a pu connaître elle aussi le triste destin des enfants sans parents. Le 28 juillet 1828 à 1h du matin, elle a été déposée devant la porte de l’hospice civil de Barcelonnette, « enveloppée dans de mauvais langes ». Aucun petit mot, ruban ou médaille, aucun signe distinctif permettant d’identifier ses parents ; elle semblait âgée de 8 jours, on l’a prénommée Marie Antoinette et confiée à la gouvernante de l’hospice… Le détail de ses placements par l’aide sociale relève ensuite de la confidentialité, mais la petite fille semble trouver une maman. En effet on la retrouve à Méolans à l'âge de 8 ans, où elle est dite « fille naturelle » de Delphine Derbez, qui a épousé Jean François Vernet. Elle sera aussi qualifiée de « domestique ».
Ce n’est qu’en 1850, le matin même juste avant son mariage, qu’Antoinette est reconnue légalement par Delphine, Delphine étant « autorisée par son mari », et Marie Antoinette prend légalement le nom de Derbez. Il est précisé dans cet acte de reconnaissance que Delphine « lui a donné les soins qu’une mère doit à ses enfants et qu’elle entend les lui donner encore à l’avenir ».
Pour trouver la « grande maman » dans la base du site il faut chercher :
Marie Antoinette DERBES fille de Marie Rose Delphine DERBES,
épouse de Jean Baptiste ALLEMAND fils de Charles et Marie Catherine LEBRE
Extrait du très beau livre d'Isabelle Grenut: "Ces êtres intéressants et infortunés"; Antoinette Derbez y est citée.