La cloche du tonnerre
Le premier Juillet 1736 les chefs de famille du quartier du Laverq réunis en conseil ne sont pas contents du tout. Ils sont « fatigués et tracassés par les manières » de Monsieur Le Curé Joseph PHILIPPE. Ils ont même engagés des frais considérables pour envoyer Etienne COLLOMB et Jean Baptiste HERMELIN à Embrun se plaindre à Messire D’HUGUES Grand Vicaire.
L’affaire est grave, il y a plusieurs griefs. Le Curé est souvent absent, pour les sacrements il faut faire venir le prêtre de Saint Barthélémy, ou aller à Méolans. Les contributions que Messire PHILIPPE exige sont supérieures aux usages et règlements du lieu, il faudra le faire rembourser, même par procès. Et puis il a fermé l’église et interdit à sa « servante » d’en donner la clef. L’église est restée fermée du 23 au 29 Juin malgré l’ordonnance de l’archevêque obtenue par les délégués et signifiée… et Joseph AMAVET fu Charles n’a pas pu sonner la cloche alors que le temps paraissait « courroucé » et que l’orage menaçait !!!
Voici donc une drôle de fonction pour mon ancêtre. Il est le proche voisin de l’église et à cette époque il a déjà 65 ans.
On l’a donc chargé de sonner les cloches et même la cloche du tonnerre ! En cas d’orage, pour avertir les jeunes aux champs et les autoriser à rentrer avec les bêtes ? Pas seulement, c’était aussi pour éloigner la grêle et la foudre si redoutées. Drôle d’idée, mais au Laverq on n’était pas les seuls à carillonner à toute volée sous l’orage. Superstition ou religion ? Dans toute l’Europe chrétienne à cette époque on sonne les cloches à la volée pour détourner les intempéries et protéger les récoltes. Certaines cloches étaient jugées particulièrement efficaces. Les « scientifiques » pensaient que les vibrations et le son pouvaient dévier les tempêtes. Mais la pratique n’était pas sans danger, on sonnait trop longtemps et en des moments inopportuns, c’était avant l’invention du paratonnerre.
Un exemple est resté célèbre. Pour protéger ses terres, le seigneur de Guerchy en Bourgogne réorganise en 1778 un rôle déjà très ancien : 12 brigades de 10 à 14 sonneurs de cloches qui doivent être disponibles jour et nuit sous peine d’amende pour carillonner afin de « prévenir » les orages. Les sonneurs seront personnellement responsables des dégâts de l’orage en cas de manquement (c’est bien plus sûr qu’une assurance). Le système du carillon perdure jusqu’en 1834, année où la foudre s’abat sur leur clocher, enflamme la charpente, blessant des sonneurs de la brigade et faisant fuir les autres. La tradition s’éteint alors avec l’incendie du clocher et sa ruine complète.
On accordait un peu trop de confiance dans la protection des cloches, les accidents mortels s’étaient multipliés. En Alsace, comme en Suisse ou en Allemagne il y avait eu des sonneurs foudroyés. Finalement un peu partout les autorités interdisent cette pratique, en France ce sera sous la Monarchie de Juillet. Cependant la croyance est bien ancrée, en 1910 on déplore encore un décès de sonneur de la cloche du tonnerre dans l’Aveyron.
Mais il n’y a pas que des drames à retenir de cette coutume, on a pu en rire à la veillée. Ainsi au répertoire de Jean Caire auteur et conteur d’Allos figurait un petit texte en provençal évoquant cette pratique :
« Voilà qu’à l’impromptu l’évêque se pointe à la digue et alors quelqu’un vient vite avertir en courant et le sacristain court au curé. Vite, vite, il vient au presbytère…
_ Monsieur le curé, monsieur le curé, voici l’évêque qui arrive, il est déjà au détroit, que faut-il faire ?
_ L’évêque qui arrive ? Eh bien fais quelque chose que l’on entende…fais sonner les cloches, tè !
_ Bè, comment faut-il sonner monsieur le curé ?
_Eh bè vé… sonne comme pour la grêle ! »
Marie Christine