La construction du clocher de Méolans
Le clocher de Méolans sur son rocher surplombe la rivière Ubaye, face à un autre bloc de pierre côté Revel. Il domine fièrement l’étroit passage dans la vallée, semblant le surveiller. Sa silhouette nous fait penser à des temps bien lointains, pourtant elle n’est pas très vieille, en 2023 elle n’a « que 170 ans ».
C’est le 12 juin 1853 que la décision de construire ce clocher a été prise par le conseil de fabrique de la paroisse de Méolans, réuni dans le salon du presbytère, sous la présidence de Mr le curé Martel. Monsieur le curé a dit :
« Messieurs,
Vous savez que l’église paroissiale de Méolans se trouve construite à l’extrémité de la paroisse et à une distance de 150 mètres du village, qu’elle n’a qu’un clocher dont la hauteur atteint à peine le sommet du toit et que sa cloche est si petite et si exiguë que le son ne se fait pas entendre au quart des habitants de la paroisse, de manière que ceux-ci sont journellement exposés à manquer les offices divins faute d’entendre sonner. Depuis longtemps la fabrique était dans l’intention de faire construire un clocher plus élevé… »
Et Monsieur le curé annonce qu’il a déjà ouvert une souscription volontaire pour le financement de la construction et l’achat d’une cloche. Reste à déterminer l’emplacement idéal :
« … je vous proposerai encore Messieurs, de choisir pour l’emplacement du clocher , vu le point extrême où se trouve placée l’église, un des mamelons du rocher qui domine le village de Méolans du côté du nord ; c’est je crois la position la plus favorable et la plus heureuse que nous puissions trouver pour que le son de la nouvelle cloche puisse se propager dans tous les hameaux qui composent ladite paroisse. Nous trouverons sur ce rocher une carrière de pierres d’où nous pourrons extraire toutes celles qui nous sont nécessaires pour la construction de l’édifice en question sans que cela ne nécessite ni transport ni dépense importante. »
Une carrière de pierres sur le rocher ?
Est-ce qu’on pouvait y extraire des pierres de taille ? On sait que le roc est de bonne composition, mais pouvait on y creuser ? Ou bien y avait-il eu des constructions antérieures ayant laissé de bonnes pierres taillées ?...
Il existe une très ancienne représentation des rocs de Méolans et de Revel qui se font face, elle date de la Renaissance. Ascano Vittozzi (1539-1615), l’architecte des palais Turinois des Ducs de Savoie, a signé un plan du lieu, conservé par le service historique de la Défense. Projet ou état des lieux ? On y voit des constructions, réalité ou légende pour flatter le souverain ? On cherchera désormais le bastion, la tour, l’église ou le château disparu, à Méolans comme à Revel.
Mais revenons à notre clocher.
La construction de la tour démarre, tous les villageois participent au travaux de maçonnerie, contre petite indemnité ; il y a même des jeunes filles du hameau de Godeissart qui sont embauchées pour transporter du sable.
En revanche, la contribution financière, dite volontaire, peine à faire le plein. Hyacinthe Gilly et Jean Joseph Clariond sont chargés de la « difficile et pénible mission de retirer les souscriptions volontaires ». L’argent manque pour la belle cloche de 600 kg que Mr le curé est allé en personne commander à Lyon…
Puis c’est l’administration forestière qui fait la sourde oreille pour marquer dans la forêt le bois nécessaire au four à chaux qui reste éteint, les travaux n’avancent plus…
Et c’est le grand incendie du village en 1854. Le chantier du clocher est léché par les flammes, il subit de gros dégâts. Il y a toutes les maisons, et même l’église à reconstruire, avec très peu de moyens…
En 1856, la construction du clocher reprend, sous l’égide de la commune, elle-même sous tutelle préfectorale, en même temps que les réparations de l’église, avec quelques subventions.
On arrive à la flèche. Une délibération communale du 12 mai 1856 nous renseigne, le conseil municipal sollicite une révision du projet, le maire explique :
« … parmi les travaux il y a la flèche du clocher que le devis estimatif avait désignée comme devant être faite en ardoises ou en tuiles. Cependant au moment où l’on allait mettre la main à l’œuvre pour la construction de cette flèche, plusieurs personnes, que l’expérience a mise en état de juger de la solidité de ce travail, nous ont fait observer que notre clocher se trouvant sur un roc assez élevé et très exposé aux violences du vent, une flèche en ardoises ou en tuiles serait très souvent endommagée et ne durerait pas longtemps ; que puisque le clocher a été bâti tout nouvellement à neuf et que ses fondations sont on ne peut plus solides puisqu’elles sont sur le rocher, il convient et il serait même très avantageux pour la paroisse que la flèche du clocher fut faite en tufs, que par ce moyen elle durerait éternellement et ne serait nullement exposée aux dégradations que causent souvent la violence du vent ; qu’au reste une flèche en tufs serait plus monumentale et mieux en rapport avec la dignité et la décence du culte…
le conseil municipal ouï l'exposé de M le maire approuve avec reconnaissance le projet de construire en tufs la flèche du clocher de la paroisse de Méolans et supplie respectueusement Monsieur le préfet de donner son adhésion à ce louable projet. »
Et la cloche ?
Elle avait été livrée dès 1853 par un jeune fondeur, Gulliet de Lyon, au prix de 2645 francs, plus 60 francs pour le transport final de Gap à Méolans. La contribution volontaire n’avait atteint que 1827 francs. Il manquait 845 francs et la fabrique ne pouvait compter que sur les menus produits de vente de cierges lors des obsèques et de location des bancs dans l’église. Toutefois en 1856 la fabrique a pu recevoir 500 francs grâce à la descendante héritière des notaires Honnorat de Méolans. En effet Melle Pauline Arnaud, rentière à Barcelonnette, versait toujours 24 francs par an à la paroisse, suivant le testament de Me Jean Baptiste Honnorat, fait 120 ans auparavant. Elle offre donc la somme de 500 francs pour rachat de cette rente perpétuelle , une somme globale immédiate qui est alors la bienvenue. Le curé avait lui-même fait quelques avances à la fabrique, mais à son décès en 1858 il a fallu faire les comptes avec son frère héritier, lui aussi curé, à Barrême… Le fondeur a dû attendre plusieurs années le solde de sa facture…
Sources : les délibérations de la fabrique et de la commune, archives communales AC161/1P01 et 1D02, relevées par Albert Lebre.
Généalogie : Martel Jean Jacques, curé de Méolans, était fils de Louis Martel de Barcelonnette et d’ Anne Marguerite Derbesy de Revel ( une fille du notaire Jean Jacques Derbesy ). Il est décédé à 56 ans le 15/04/1858 à Méolans. Il avait au moins deux frères : Jean installé au Plan à Barcelonnette et Innocent prêtre à Barrême, ainsi que deux sœurs : Victoire, épouse Chabrand et Julie épouse Cornille.