La difficile reconstruction de l'église paroissiale du Lauzet

Le village du Lauzet a beaucoup souffert du passage des troupes de Louis XIV en guerre contre le Duc de Savoie. Le bourg principal a été démoli et incendié. Les délibérations de la communauté et les registres paroissiaux, bien que lacunaires, témoignent de la violence des faits de guerre envers les personnes et les biens. Les habitants sont restés plusieurs années avec une église paroissiale démolie, réduite à une petite chapelle provisoire ; profitant d’une trêve , en 1706, le conseil de communauté vote la construction d’une nouvelle église, mais l’accalmie n’est que provisoire et le chantier connaitra bien des difficultés.

Où reconstruire la nouvelle église ?

 Les avis divergent et on en débat âprement, jusqu’à la décision du Prince Archevêque d’Embrun. Une nouvelle église sera édifiée au bord du « grand chemin », à la place d’une maison en ruine léguée à la communauté par Dame Anne Masse, veuve de Maître Jean Chauvet, et en prenant sur la place publique. L’emplacement ne suffira pas ; il faut plus d’espace pour dégager l’entrée, aménager une sacristie, et surtout éloigner l’église des autres maisons pour la préserver d’éventuels incendies. Le conseil de communauté réuni sur la place publique, au grand complet de tous les quartiers et hameaux, vote l’achat du « chazal » (cabanon) de Michel Fabre fu Jean Baptiste, située au couchant du projet, et de la maison de Joseph Bonenfant fu Augier située au levant. Très naïvement Joseph Bonenfant qui est présent déclare que sa maison avec petit jardin "est fort commode et qu’il n’en a pas d’autre". Un expert sera nommé pour les indemnités et s’il faut le contraindre on demandera un arrêté du préfet. Les frères Masse déclarent que le projet est trop cher, et contestent même le legs, arguments rejetés pour « la décence et gloire de Dieu », c’est « la maison de Dieu » que l’on construit! Le consul André Chauvet veut reporter la décision à un prochain conseil, mais finalement le projet est voté et un prix fait (devis) est signé aussitôt avec des maîtres maçons.

Le chantier

Il est confié à deux maitres maçons : Barthélémy Hyeuille fu maître Pierre de Pello ( ?) en Val d’Aoste, et Antoine Garci fu Maitre Jean Antoine de l’Hieuilliane ( ?) en Val d’Aoste. Ce ne sont peut-être pas des bâtisseurs de cathédrale, mais il est précisé qu’ils ont établi un atelier à Jausiers et ont déjà réalisé des ouvrages de ce genre qui ont donné satisfaction ; ils sont choisis par Messire Jacques Sicard le curé. Cet argument suffira.

Un règlement de construction est élaboré, les habitants de chaque quartier du Lauzet auront chacun une tâche spécifique dans le chantier. On répartit les fournitures de pierres, sable et chaux. Les contributions des familles, en nature et en espèces sont fixées dans le détail. Les équipes seront placées sous la direction du curé et de son vicaire,  elles suivront les instructions des maîtres maçons.

Hélas le chantier n’avance pas, les temps sont difficiles, les habitants et par suite leur communauté sont ruinés. Les dettes sont énormes. La situation internationale ne s’est pas arrangée et les troupes françaises en poste dans la vallée exigent de plus en plus de contributions sous peine « d’exécutions militaires ». Elles exigent des vivres, du foin, du bois, mais aussi des versements en espèces, et pratiquent la prise en otage des élus locaux en cas de non-paiement. En 1708 arrivent 7 bataillons au camp de Tournoux, 2 à Seyne, 3 à Colmars de l’autre côté. Les ordres militaires, de plus en plus exigeants, sont lus à haute voix en conseil de communauté et soigneusement recopiés dans les délibérations.

 La paix revenue en 1713, on reparle du chantier, c’est-à-dire quelques murs sans couverture. Le maitre maçon Barthélémy Hyeuille est mort, son associé a abandonné la poursuite de la construction. En 1714 on fait appel à Maitre Barthélémy Yock fu Jean Jacques,  qui vient lui aussi du Val d’Aoste, de « Pella »( ?). Les plans d’origine sont modifiés, l’architecture réduite, avec un devis à 1800 livres, pour encore deux ans de chantier. Ce nouveau contrat prévoyait les « inconvénients » : accidents, décès, guerre et même peste, « mais que Dieu nous en préserve … » , ce qui était hélas prémonitoire, car la peste qui avait sévi longtemps avant, en 1631, reviendra en 1720.

 Un généreux bienfaiteur.

Enfin une bonne nouvelle, au conseil du 8 décembre 1714 le sieur Jean Vigne fils de Chrispol annonce :

« Une personne bien intentionnée pour le salut des âmes de cette communauté serait en état d’établir un don de capital de 2000 livres de France pour avoir un prédicateur pour tenir chaire pendant les carêmes au présent lieu ». De plus 150 livres de Piémont pourront être reçues pour le prochain carême, pour rémunérer un Révérend Père Prêcheur. Il s’agit d’un don affecté, et non général, mais le conseil en accepte les conditions. Ce donateur réside à Turin, alors on mandate Jean Vigne pour aller le rencontrer; l’émissaire reviendra en février 1715 avec un acte passé chez un « notaire du Souverain Sénat de Turin » : Jacques Pascalis originaire de Barcelonnette. Le généreux bienfaiteur est Joseph Vigne, fils de feu Antoine. Il est désigné comme marchand en gros, établi à Turin. Le secrétaire du conseil de communauté, le notaire Jean Martel, devient lyrique quand il écrit pour la postérité : «…  désirant suivre la bonne intention du Sieur Joseph Vigne fondateur susdit, s’agissant d’entendre la parole de Dieu qui procure le salut des âmes qui l’aiment et qui se plaisent à la rechercher, tous uniement sans discrépance aucun, mais tous d’une même volonté et esprit, en remerciant de bon cœur ledit Joseph Vigne, priant dès à présent le Seigneur de le vouloir à l’avenir de plus en plus combler de ses grâces et ceux de sa postérité, tant de biens temporels que spirituels,  (les assistants) ont accepté et approuvé ledit acte de fondation… ».

Le capital devait être placé et les intérêts annuels servir éternellement à rémunérer un prêtre pour prêcher pendant les 40 jours du carême (avant Pâques). La somme ne sera touchée que le 3 juillet 1718 chez le notaire de Méolans* et engloutie dans le remboursement des dettes de la communauté du Lauzet. Ce don a plus tard été considéré comme un don pour la construction de l’église, mais ce n’était pas le but recherché par Joseph Vigne, même si cela a pu aider indirectement, en cette période financièrement très difficile.

La volonté de Joseph Vigne a bien été respectée pendant plusieurs décennies.  En 1780,  dans son livre « Histoire géographique naturelle ecclésiastique et civile du diocèse d’Embrun » Antoine Albert écrivait : « … L’église paroissiale du Lauzet ... est une des plus belles églises de la vallée. Sa construction parait d’un goût moderne. On y prêche annuellement le carême et les honoraires du prédicateur sont de 100 livres… ».

• *acte du notaire de Méolans : AD042E 12174 folio 498 et suivants, à voir sur notre site : 

 Quittance pr le Sr Joseph VIGNE f Sr Antoine du... - Génélogie - Laverq.net

Sources : les délibérations de la communauté du Lauzet, Archives départementales des Alpes de Haute Provence, registres 2E12788 à 2E12790

Photos Monique Dou et Lucien Tron