L'abolition des privilèges à Méolans
Quelques années avant la Révolution Française un procès divise le village, à propos de privilèges fiscaux.
Le notaire qui est chargé de tenir les écritures publiques et rédiger les délibérations écrit : « un procès nuit à l’harmonie de la communauté ». Il débute en 1780 et se terminera en 1783. La Confrérie du Saint Esprit de Méolans et du Laverq est assignée en justice par des habitants qui demandent l’imposition à la taille des terres dont elle est propriétaire. En effet les biens de la confrérie du Saint Esprit, et notamment la montagne pastorale de la Blanche de Laverq, ne sont pas soumis à cet impôt foncier.
La fiscalité royale ne cesse de s’alourdir et le contingent d’impôt étant réparti entre les habitants à l’aide du cadastre, on ne tolère plus les exonérations. Les pénitents assurent le service des pompes funèbres, la distribution de pain aux nécessiteux, organisent les processions et se réunissent chaque année en un grand banquet, mais ne participent pas aux dépenses publiques.
La confrérie refuse toute taxation directe, ou taxation de ses locataires qui se retourneraient contre elle pour le prix du loyer. Il faut dire qu’elle a procédé à des baux emphytéotiques de 29 ans appelés aussi « bail à vie ».
Devant la « Souveraine Cour des Comptes du Parlement d’Aix en Provence » certains habitants vont plaider le fait que ces terres ne sont ni des biens ecclésiastiques, ni des biens nobles, ni des biens communs, seuls exonérés. Ils réclament une taxation rétroactive sur plusieurs années.
Trois ans de procédure avec moult péripéties nous sont contés, à la fois dans les délibérations de la communauté et dans les délibérations de la confrérie.
Le procès est mené par « la Dame Arnaud et Consorts ». Il s’agit d’Agnès HONORAT veuve de Joseph ARNAUD, bourgeois de Jausiers. Elle est la sœur du notaire Jean Baptiste HONORAT et son héritière. Son fils Jean Baptiste ARNAUD, avocat de formation puis juge, a repris l’étude de Me HONORAT.
Plusieurs habitants se sont joints à cette cause et ont voté des cotisations pour ce procès, contrairement à « ceux qui ne payent jamais rien ». Se sont joints notamment Jean DERBES feu Honoré, le père du notaire Pierre DERBES, et Hyacinthe ANTIQ feu Pierre du hameau des Besses. Joseph COLOMB fu Charles du Laverq est chargé de la collecte des fonds.
Le 20 avril 1780 Dame Arnaud participe à une réunion du conseil de communauté et c’est bien la première fois que la présence d’une femme est mentionnée au milieu des conseillers.
Dès le début de la procédure, un arbitrage entre experts est proposé à la Confrérie mais refusé. Alors commencent 3 années de frais de part et d’autre, agrémentés de diverses anecdotes ou déboires.
En plus des frais d’avocats, il faut déléguer des représentants, appelés députés. Ils vont devoir aller très loin. La confrérie a choisi André REYNAUD fu Pierre de Méolans, il se présente à Aix sans la délibération destinée au « sac à procès ». En tant que négociateur entre les parties, il est ensuite qualifié de « suspect » puisque adjudicataire lui-même d’un bail de la confrérie : c’est un « emphytéote ». On le révoque.
Les confrères du Laverq veulent leurs propres députés et experts… La confrérie doit emprunter 300 livres, elle donne au moins 6 livres par voyage, 50 sols par jours de vacations…pour les avocats on comptera en louis d’or…
Dans le conseil de communauté on se divise aussi puisqu’il y siège des confrères, on refuse de payer des arbitres, les plaignants menacent de ne plus payer la taille… Finalement le conseil de communauté se joint à la procédure, ainsi Jean Baptiste MARTEL fu Mathieu est envoyé à Aix tantôt par la confrérie, tantôt par la communauté.
La députation de Jean Joseph LEBRE fu Sébastien est révoquée quelques jours après sa nomination, avant qu’il ne parte : il ne lit pas assez bien et il lui faudrait un accompagnateur, mais il proteste qu’il a fait des frais pour les préparatifs de son départ. C’est Joseph TRON fu Antoine, négociant du hameau du Duc qui partira mandaté par la communauté.
Les prieurs envoient aussi chercher des renseignements dans la Haute Ubaye sur d’autres confréries, sur les impôts qu’elles payent, et surtout les documents qu’elles possèdent pour être exonérées, en général ce sont de vieilles chartes. Car c’est bien là le problème des pénitents, ils n’ont aucun document : on ne peut plus donner l’origine des biens, ni prouver qu’ils sont un bien commun, ou mieux un bien d’église.
Alors la confrérie envoie Jean Baptiste REYNAUD le notaire du Laverq jusqu’à NICE, en pays étranger à cette époque !
Il doit aller au Sénat de Nice pour demander un acte de notoriété sur l’origine des propriétés et leur exonération, qui remonte au temps de la Savoie, la seule chose qui reste étant le cadastre savoyard de 1702 qui ne suffit pas aux avocats d’Aix. Il faut imaginer les déplacements en 1780, à pied ou avec une mule… Et Jean Baptiste REYNAUD revient sans les preuves espérées ; le Sénat a répondu que pour donner un acte de notoriété il fallait qu’une cour souveraine l’ait ordonné, et qu’il ait la permission de son souverain… 6 livres de Piémont pour l’audience.
La colère monte, avec le prieur Antoine REYNAUD fu Dominique du hameau des Martels on veut aller chercher des preuves au cabinet de feu Me Honorat où pourraient se trouver cachés des documents probants, et si les héritiers ne les donnent pas on va leur faire un procès !!!
Alors en 1782 les autorités interviennent, le subdélégué de Barcelonnette sermonne les consuls de la communauté : le refus de soumettre l’affaire aux arbitres est contraire à une bonne administration.
Les ordres viennent de haut, du Président du Parlement d’Aix : Monseigneur Des Gallois De La Tour en personne a été instruit de l’affaire et demande un arbitrage. Jean Joseph CLARIOND fu Joseph du hameau de Godeissard, qui est le « baile juge ordinaire » de l’année et le notaire Pierre DERBEZ, en tant que consul, expliquent alors que « le refus de l’arbitrage annonce qu’on se méfie de la bonté de sa cause ». Ils insistent : ceux qui refusent un arbitrage perdent souvent leur procès…
Un compromis met fin aux débats : toutes les terres de la confrérie seront soumises à la taille, sauf la montagne pastorale de La Blanche. Quelques particuliers du hameau du Duc perdent aussi leur privilège de franchise de taille pour des parcelles de terre achetées autrefois aux moines de Boscodon et exonérées depuis.
Les nouveaux prieurs de la confrérie en 1783, qui sont Jean Baptiste MARTEL fu Mathieu et Joseph HERMELIN fu Antoine du hameau du Duc, ont de graves problèmes : la confrérie doit payer les tailles rétroactives et poursuivre les « possesseurs » des terres pour se faire rembourser. Les emphytéotes, désormais appelés possesseurs, sont maintenant en procès pour ne pas payer plus que prévu à leur contrat. La situation financière est critique.
Et ça tombe bien mal, la cabane de Plan Bas a été fracturée : début août 1783 on a volé les planches, il faut la « raccommoder à moindre frais » et dorénavant compter toutes les planches qu’on y mettra … Le conseil de communauté quant à lui est en procès contre l’Archevêque pour la dîme, et il lui faut les services d’un avocat … à PARIS !
Et la Révolution Française éclata…
Les privilèges furent abolis dans la nuit du 4 au 5 Aout 1789.
Le 27 décembre 1789, lors du tout premier « conseil municipal », Jean Baptiste ARNAUD en tant que secrétaire expliqua les décrets de l’Assemblée Nationale : il leur fallait calculer l’impôt de la montagne de la Blanche de Laverq pour les 6 derniers mois de 1789 et pour 1790. « Faute de maison de ville », le conseil était assemblé chez sa mère Dame Veuve ARNAUD.
Sources : Archives Départementales des AHP - Délibérations dans les registres des notaires :
Registre 2E12190 photos 024 et 209 : https://registres.laverq.net/index.php?/category/2e12190
Registres 2E12229 photo M7 015 : https://registres.laverq.net/index.php?/category/2e12229_M7
Registres 2E12200 photo E1061 016 : https://registres.laverq.net/index.php?/category/2e12200_E1061