Le bon "docteur" du Laverq
Antoine TRON, fils d’Antoine, des Sartres, est devenu « Maître Chirurgien » au début du 18ème siècle.
Les historiens nous disent que le chirurgien n’était pas un médecin, mais simplement un « barbier ». Il pouvait donc vous raser, faire quelques soins d’hygiène de l’époque, ou au mieux vous arracher une dent, peut-être même vous saigner, la marotte de l’époque !
En effet, les médecins diplômés laissaient le soin de la petite chirurgie à d’autres, ils ne touchaient pas beaucoup au corps du malade, ne s’occupaient pas des fractures, encore moins des abcès et des plaies. On connait la médecine de l’époque, on frémit à l’évocation de ses « soins » ou au mieux on en rit avec les comédies de Molière.
Et pourtant au Laverq on était bien content d’avoir un bon « chirurgien » et on voulait le garder. Nous allons le découvrir lorsque Louis XV, qui a déjà ouvert une académie de chirurgie, réorganise peu à peu toutes les professions médicales et paramédicales, interdisant formellement aux maîtres chirurgiens de délivrer des médicaments, les renvoyant à leur rôle de « barbiers », tentant même de poursuivre les charlatans…
Le 1er décembre 1748, le conseil de communauté de Méolans mandate son consul Jean DERBEZ : « pour s’unir avec la communauté de Revel pour faire les représentations à qui de droit touchant les chirurgiens qui sont de notre communauté, concernant les droits de leur métier ».
On précise : « les chirurgiens ont exercé leur métier de bonne foi, les particuliers sont très satisfaits des bons remèdes donnés par le Sieur Antoine TRON chirurgien du Laverq à ceux qui le demandent. La communauté souffrira beaucoup si le dit TRON est suspendu dans ses fonctions, surtout les pauvres qui n’ont pas de quoi payer les frais d’un médecin. Par l’assistance du Sieur TRON, la plupart, lorsque leur maladie est curable, recouvrent du soulagement. Le Sieur DERBEZ attestera par devant qui de droit que le Sieur Antoine TRON, depuis 25 ans et plus, exerce le métier de chirurgien dans les trois communautés basses, avec toutes les marques d’un bon chirurgien. Il résidait au présent lieu de Méolans au dernier brûlement. A son retour d’apprentissage il a commencé en ce lieu… »
Antoine TRON soignait donc les gens et surtout les gens qui n’avaient pas les moyens de faire venir le médecin du Lauzet ou de Barcelonnette. Il prescrivait des « médicaments », et surtout avait bonne réputation. Le consul précise qu’il exerce depuis plus de 25 ans et nous le retrouvons souvent au fil des actes notariés de Méolans.
Dès 1718 il apparaît comme témoin dans les testaments, preuve qu’il est au chevet des alités (dans le testament de Jeanne Reinaud il est signalé avec le « docteur médecin » BREMOND de Barcelonnette).
Il a vécu la peste de 1720 et il est encore présent en 1744, après les années de guerre et d’épidémies de variole ou de choléra qui s’en suivirent.
Marié à Méolans avec Anne Martel, puis avec Marguerite Jaubert en 1727, il va habiter au Pied des Prats puis aux Clarionds, et même à Méolans, donc soigner les habitants depuis le Laverq jusqu’à Revel.
A sa mort en 1754 il laisse 7 enfants vivants. Son fils Jean sera aussi « chirurgien » à Saint Barthélémy.
Peut être toujours optimiste, et bravant toutes les contagions, le bon docteur TRON est mort sans avoir fait de testament. Il n’a donc pas demandé une multitude de messes pour le repos de son âme, comme les autres testateurs. Mais à son décès il a encore un petit dernier, Joseph, fils mineur à mettre sous tutelle, et de ce fait sa maigre succession fait l’objet d’un inventaire minutieux, pour le partage entre ses enfants, le 14 octobre 1754 (cf Revel 2E19810 folio356).
Dans la liste des menus objets inventoriés, on retrouvera bien évidemment une « pince pour arracher les dents », et des rasoirs ! Mais chose très rare dans les successions de cette époque, il avait des livres. Seuls quelques nobles ou ecclésiastiques disposaient d’une « bibliothèque ».
Antoine TRON avait acheté une véritable encyclopédie : « Maison Rustique », qui donne des conseils d’agriculture, d’élevage et de chasse mais aussi de pharmacopée. Il possédait aussi les « commentaires de Matthiol », c’est un botaniste célèbre au 17ème siècle, appelé aussi Mattioli, de Sienne en Italie. Ce pourrait même être l’édition illustrée de beaux herbiers, qui connut un grand succès au siècle des lumières. Un livre de droit civil complétait sa bibliothèque, sans doute pour soigner ses finances et non plus les corps. Et puis les consuls notent d’autres livres de médecine et pharmacie, précisant seulement qu’ils sont « petits ». Bien sûr qu’ils sont petits et usés, il fallait bien emporter avec soi ses recettes de potions, comme nos vieux médecins de campagne qui consultaient leur « Vidal ».
Sa jument est dite aussi « fort petite et vieille », alors on imagine qu’elle a parcouru beaucoup de chemins. Et puis dans sa succession il est énuméré des créances, beaucoup de petites sommes dues par les habitants, il devait faire crédit à ses patients.
Mais ce n’est pas une riche succession, Antoine n’a pas fait fortune. Ses enfants se partageront aussi 20 brebis et 2 vaches, dont une vieille, elle aussi, et estropiée en plus… Médecin de campagne dans un désert médical, on vous dira encore de nos jours qu’il y a mieux pour faire fortune.