Le cahier d'école de Marie Trotabas
Il y a eu des écoles dans tous les hameaux, même les plus isolés. Qu’enseignait on aux petits écoliers des montagnes?
Les cahiers de Marie Trotabas retrouvés dans un grenier donnent quelques exemples du programme scolaire suivi en 1905 et 1906.
Les programmes sont nationaux et identiques pour toutes les écoles publiques. On commence toujours par la morale, l’enseignant développe un sujet avec une phrase écrite au tableau. Puis de longues pages d’écriture à la plume, lettre après lettre, qui nous font penser aux punitions.
L’arithmétique tient une très grande place. Les problèmes de maths sont adaptés à la vie de tous les jours. Aucun problème de débit de robinet, d’ailleurs personne n’a l’eau courante chez soi. Il y est toujours question d’intérêt d’épargne, d’agriculture ou d’économie domestique. On calcule des surfaces de toit à deux pentes, de champ trapézoïdal , des quantités de semence, le tissu nécessaire pour une robe doublée, soit 2 étoffes à prix différents avec escompte, et surtout beaucoup d’intérêts et de capital, d’économies ou de dépenses et recettes domestiques… un bon niveau de calcul pour des écoliers d’une douzaine d’années.
Problème : « Une personne qui avait au 1er janvier 840f à la caisse d’épargne, elle les retire le 30 septembre ainsi que l’intérêt à 3f50 pour cent. Avec le tout elle achète un jardin qui lui coûte 75f l’are. Quelle est la surface du jardin ? » (Marie a tout juste, c’était 11a 49).
La couverture imprimée du cahier préparait déjà aux nouveaux modes de vie sociale souhaités par la République.
Pour la grammaire on se sert des lectures mises à disposition, des exercices sont tirés des leçons d’histoire : « Les Guises ambitieux essayèrent de détrôner les Valois : Guises = nom propre sujet; ambitieux = adjectif qualificatif qui qualifie les Guises… ».
Après avoir étudié Turgot, "qui cherche à enrichir l’agriculture", les écoliers acquièrent du vocabulaire :
« Question : Qu’est-ce qu’un économiste ?
Marie répond : un économiste est celui qui cherche à enrichir le peuple, l’agriculture. Quelle différence y a-t-il entre un économe et un économiste ?
Un économe c’est celui qui garde un peu de son salaire pour l’avenir, lorsqu’il sera vieux et qu’il ne pourra plus travailler et un économiste est un écrivain qui cherche à enrichir l’agriculture. »
Le programme d’histoire revisite la première restauration, puis la terreur blanche, et la « 2ème » restauration. Les généraux oubliés de nos jours sont passés en revue : Ramel, Ney et Brune, que Marie a compris et écrit « Prune », concluant qu’ il y a eu beaucoup de crimes, ce qui lui vaut une mention Assez Bien, sauvée du Médiocre cette fois-ci !
L’ouverture au monde se fait essentiellement par les dictées. Les sujets en sont toujours didactiques ou moralisants, puis on fait un « développement » du texte : « l’empoisonnement alcoolique, la bienfaisance, la santé , la chanson de chaque métier ». De temps en temps un peu de poésie : « le myosotis, le premier vol de l’hirondelle » et « la soupe aux pois » qui combine le tout. Un texte sur la brutalité d’un charretier est commenté avec l’étude de « la loi Grammond qui punit ceux qui maltraitent les animaux ».
Au fil des leçons la petite Marie va découvrir pêle-mêle les estomacs des petits oiseaux et les progrès humains que l’on doit aux générations précédentes, elle va nous les résumer ainsi dans l’épreuve de composition française : « Les hommes de maintenant ont la vie bien plus heureuse qu’autrefois. On voit cela grâce aux livres qui nous disent que les premiers hommes avaient la vie dure et difficile à gagner. Les hommes de maintenant ont de belles maisons, des châteaux , des palais, tandis qu’autrefois ils n’avaient que des rochers pour maison ou des pauvres cabanes couvertes de paille… »
Les conseils d’hygiène, de ménage, de vie domestique ne manquent pas. On fera même calculer la hauteur idéale d’une salle de classe de 33 m2 pour 32 élèves, sachant que les élèves ont besoin d’un volume d’air de 5 m3 (sic). Réponse : 4m84 de haut. Marie et ses petits compagnons ont pu ainsi rêver à la salle de classe idéalement saine…
La couture et la cuisine complètent l’éducation des filles. Une recette imprimée de la cuisson des cailles explique qu’il faut d’abord les «plumer, vider, fendre par le dos et aplatir… ».
Mais laissons Marie nous parler un peu de son village, que certains d’entre vous vont reconnaître trés facilement (c'est la devinette du jour).
Composition française : faites la description de votre village. Dites pourquoi vous l’aimez.
« Développement :
Mon village est entouré de montagnes, les maisons sont dissiminées sur la pente de la montagne. Au bas de mon village il y a un torrent qu’on appelle la Chasse, plus loin la rivière du Verdon. En été mon village est pittoresque, les prés sont verts, on peut aller dans la montagne du Puy qui est très jolie, il y a un grand ombrage, des pins, des sapins, des mélaises, on voit des oiseaux, des écureuils, on peut ramasser des fraises, des framboises, des airelles. Le matin on voit monter les vaches tout doucement, lorsqu’elles arrivent au Puy elles broutent, à midi elles vont se coucher au soleil. Les rues de mon village sont anciennes, elles ne sont pas pavées, elles sont remplies de boue. Dans mon village il n’y a pas beaucoup d’habitants parce que l’hiver il tombe beaucoup de neige, on ne peut pas sortir ; en hiver on donne aux moutons, on fait des paniers en osier, on arrange les objets pour l’été.
J’aime beaucoup mon pays parceque j’y suis née, on m’a élevé, instruit, parceque j’y est passé de bons moments à m’amuser. Je l’aime encore parceque je connais beaucoup de gens, je connais le cimetière, le clocher. J’aime beaucoup mon village quoiqu’il ne soit pas très jolis. »
L’enseignant n’a pas aimé la neige, le cimetière, ni le clocher, il les a rayés en rouge mais a laissé la boue dans les rues... et il a donné la note de 8, assez bien.
Refermons le cahier, à la dernière page de couverture ne figure pas une table de multiplication, mais une incroyable table de la « Stature de l’homme et son poids ». Consultez là attentivement, un certain Mr Quetelet (mort 30 ans avant l’écriture sur le cahier) vous y renseignera sur votre poids idéal, et vous instruira sur les Zoulous, les Boshimans , etc. et aussi les Patagons et les Comanches qui eux sont de « taille haute »…
Le cahier de Marie Trotabas a été déposé à la "Maison Musée" du Haut Verdon, à Colmars-les -Alpes.