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Le curé et les faux-monnayeurs

Publié par Marie Christine Duval le mardi 25 janvier 2022

Une explosion retentit dans l’église de Faucon de Barcelonnette, et l’enquête sur le réseau des faux-monnayeurs en Ubaye prend une nouvelle dimension. C’est le début d’une affaire judiciaire qui laissera des traces dans la bonne société locale.

C’était pendant « l’occupation française », en 1710 à la fin de la guerre de succession d’Espagne ; Louis XIV gouvernait la vallée savoyarde de l’Ubaye, qui ne sera française qu’en 1713. Une grande quantité de louis d’or au faux coin du roi soleil sont apparus sur les marchés, jusque dans les Hautes Alpes et le Var. L’arrestation de deux colporteurs Ubayens et les dénonciations d’un complice de Digne conduisent à suspecter l’Ubaye où seraient transformés en louis nouveaux des anciens louis de valeur inférieure, collectés en Piémont. Ce qui procure un gros bénéfice par pièce et bien sûr porte préjudice à Louis XIV. Le Duc de Savoie lui-même « s’est exprimé contre tous ceux qui se sont mêlés à ce vilain commerce ».

 

tableau de Quentin Metsys
Quentin Metsys (1465-1530) un peu anachronique, mais si intemporel !

Le commandement militaire de la vallée est alors confié à Monsieur Le Guerchois, maréchal de camp à Tournoux. Celui-ci rend compte régulièrement de la situation locale à Monsieur Voisin ministre de la Guerre et reçoit sur place Monsieur de Saint Maurice président de la cour des monnaies de Lyon, responsable des poursuites. Le Comte d’Artagnan, qui était le commandant du territoire frontalier de tout le sud-est, suit l’affaire de près. Le service historique des armées a conservé et archivé à Vincennes leur correspondance, qui complète et image les archives judiciaires de cette affaire.

Le commandant Le Guerchois écrit : « je sais mieux que personne que le curé de Faucon est coupable d’avoir exposé des louis d’or aux faux coins et encore avoir caché des fusils et des pistolets dans son église et derrière le maître-autel, dans le temps que, sur les ordres de la Cour je faisais désarmer les habitants de cette vallée, ce qui se manifesta parce que la Providence permit que le feu se mit la nuit au maître-autel, et que les fusils qui étaient chargés tirèrent d’eux-mêmes, ce qui donna l’alarme au quartier ».

Le curé était déjà soupçonné par suite de dénonciation. Le 18 mai 1710 le commandant Le Guerchois assiste le sieur De Rivevieux commissaire de la Cour dans une perquisition au presbytère : « nous nous portâmes ensemble à Faucon, dans le cabinet du curé de ce village, sous lequel nous trouvâmes une petite chambre, où à peine un homme peut coucher, et enfin nous découvrîmes un caveau sous cette chambre, où l’on descend par une trappe, dont l’ouverture est si parfaitement jointe au plancher que je m’étonne que nous nous en soyons aperçus. Ce caveau voûté est à peu près de la grandeur de la chambre. Nous le trouvâmes à moitié rempli de pierres et de terre, mais d’une terre si mouvante que tout le monde convint qu’elle n’y avait été jetée que depuis quelques mois. Nous fîmes vider avec soin et en notre présence ce caveau. Parmi les pierres on en trouva une fort grande, au milieu de laquelle il y avait un vide, de la grandeur de la main, travaillé avec le ciseau. Monsieur de Rivevieux qui se connaît en ces sortes d’instrument jugea qu’elle en était un propre à travailler des espèces. Ensuite nous trouvâmes quantité de fers rompus et d’autres assez en leur entier, pour faire dire à Monsieur de Rivevieux qu’ils étaient faits pour l’usage de la fausse monnaie. Nous y découvrîmes aussi un gros billot de bois battu sur le milieu, et nous remarquâmes qu’autour des pierres qui étaient incrustées et jointes de terre grasse, il y avait des charbons collés à cette terre, ce qui fit encore dire à Monsieur de Rivevieux, qu’ils avaient été faits pour l’usage de la fausse monnaie. »   

Le curé de Faucon est arrêté et conduit en prison sur l’ile de Sainte Marguerite (une des prisons du Masque de Fer). Le ministre répond à Le Guerchois : « Sa Majesté a approuvé que vous ayez fait arrêter le curé de Faucon soupçonné de la fabrication de fausse monnaie ». Mais Le Guerchois confesse qu’il avait longtemps hésité à arrêter ce personnage tenu en grande estime par l’archevêque d’Embrun et issu de la grande bourgeoisie de Barcelonnette. Il avait aussi remarqué la fortune personnelle de ce prêtre et écrit « les épargnes honnêtes ne mènent pas à de si grandes richesses ».

Ce personnage était en effet François Pascalis, fils de Pierre, marchand, et de Marthe Jaubert qui s’étaient mariés le 25 novembre 1642. Il avait plusieurs frères dont Pierre Antoine avocat, décédé en 1699 et qui avait été marié à Anne Jaubert, de Faucon, fille de Jacques le notaire.  Deux autres de ses frères, notaire et marchand, installés à Turin avaient fait fortune. Ces derniers vont se vanter qu’ils peuvent offrir 50 000 livres pour le faire libérer et tentent en vain d’obtenir des passeports pour venir à Barcelonnette.

François Pascalis avait aussi une nièce à Colmars les Alpes, mariée au receveur des douanes Jacques Lamy, la fille de sa sœur Isabeau qui avait épousé un notaire d’Entraunes Louis Tholozan. Lamy était complice, un billet très compromettant entre le neveu et l’oncle avait été intercepté, Lamy est arrêté lui aussi.

Et comme sur ce site nous nous intéressons beaucoup à la généalogie, il faut aussi parler des cousins. Ce François Pascalis en avait beaucoup : il descendait de la branche de Jean Paul Pascalis, mort en 1537, défenseur de la citadelle de Jausiers sous François Ier. L' aïeul  Antoine avait livré Entraunes aux français en 1597… Il y a eu beaucoup de Pascalis : « le Pisan, le traître, le dépravé, de Valplane… ». Pour sa lignée nous en resterons à « Pascalis de la Chaup », un quartier de Barcelonnette, bien qu’il faille encore distinguer la  Chaup haute ou basse !!!

Et donc pour les cousins il y en a un fâché à mort avec lui et qui serait peut-être bien un dénonciateur : Jean Hyacinthe Pascalis " de la Sestrière", à Allos, marié à Rose Jaubert et qui sera député de la vallée après 1713. En revanche le commandant Le Guerchois se méfie beaucoup d’un autre cousin : Alexandre Pascalis, juge à Barcelonnette, qui lui risque fort d’être trop favorable au curé…

Mais voici qu’entre en scène un autre « cher parent » ! C’est Antoine Honorat, fils du notaire Louis, de Méolans, cadet de François Honorat. Il propose de se porter caution du curé de Faucon : qu’on le libère, il est tombé malade en prison, Antoine Honorat l’hébergera chez lui contre une caution de 20 000 livres.  Le juge accepte mais François Pascalis décède en prison avant d’en profiter. Honorat reste débiteur ! "Qu’allait-il faire en cette galère" ? Un lien de parenté par sa mère  (Jeanne Pascalis ?) par les Caire ? nous n’avons pas son acte de baptême pour confirmer sa filiation maternelle.  Peut-être une pression exercée contre lui ? comme pour le clerc du curé dont on ne put tirer aucun renseignement : « son petit clerc est d’un secret et d’une fidélité inviolable. Les milords de la vallée l’ont intimidé par des menaces et gagné par des promesses ».

Antoine Honorat est alors préfet à Barcelonnette mais Le Guerchois désapprouve ce cautionnement : tout le monde sait « qu’ Honorat est pauvre, et très pauvre » (tout est relatif !) il ne possède même pas la charge de juge qu’il exerce à Seyne, en plus de ses fonctions à Barcelonnette. Le commandant recommande donc de suivre de très près la succession du curé afin d’assurer les deniers de Sa Majesté, ce n’est pas François Honorat qui pourrait verser l’amende. Le curé percevait de grosses rentes, depuis plusieurs années, il faisait de gros placements qu’il faut récupérer (ce que confirme encore aujourd’hui les actes notariés, notamment les registres d’Entraunes).

D’autres bourgeois soupçonnés, mentionnés eux aussi « cousins du curé » s’enfuient en Piémont : ils ont pour nom Caire, Maurin, Audiffred. On arrêta encore un André Arnaud, et un Jean Honoré Fortoul. Trois hommes furent condamnés à mort, leur nom n’est pas cité dans la correspondance au ministre.

Le commissaire s’adressant au commandant concluait : « J’espère que le Roi sera content de nous, et que son armée le sera aussi de l’argent que nous lui ferons toucher ». Les bourgeois mis en cause négocièrent leur liberté et leur « honneur » contre de très grosses sommes, qui furent les bienvenues pour l’armée de Berwick, dont 100 000 livres versées par des marchands de Barcelonnette.

Marie Christine

sources : Josyane Grilli, Cercle Généalogique des AHP, d'après les archives anciennement cotées S.H.A.T. -A-/2247, 2249 et 2326.  illustration : tableau du peintre flamand Quentin Metsys (1465-1530)

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