Le hameau des Tarroux, au fil du temps
En remontant le cours du Grand Riou de la Blanche de Laverq, on aperçoit sur la rive gauche le hameau des Tarroux, blotti sous la forêt. Depuis des siècles il y a là quatre ou cinq maisons qui ont abrité jusqu’à une quarantaine de personnes. Aux grandes familles des patriarches du 17ème siècle : HERMELIN, MILLES et BARTHELEMY, ont succédé des gendres nommés GILLY , ROUX ou encore CLARIOND.
L’exposition des terres environnantes, à l’ubac, ne facilitait pas l’exploitation agricole et la production de céréales, il fallait une petite industrie. Tous ont continué les mêmes activités artisanales en travaillant les matières premières locales : le bois, la laine et le chanvre cultivé localement. Pendant des siècles ces diverses activités ont permis aux habitants de vivre dans une relative aisance.
Pendant que Louis XIV faisait construire son château à Versailles, Jean Antoine MILLES le maréchal ferrant construisait son moulin et une « scie d’eau », utilisant la force motrice d’un torrent… Au fil du temps les notaires, de père en fils, enregistrent transactions, partages des droits d’eau, successions et inventaires, ventes commerciales et foncières… Les patrimoines s’accroissent et les propriétaires accèdent à des responsabilités locales.
Plus tard , en 1751, se transmet la scie hydraulique et un atelier de « brocherie » ou « broquerie » : tous les outils destinés à la fabrication des seaux en bois, « brocs », ou tonneaux. Le père lègue son matériel de « brochier » en indivision à ses deux fils, prévoyant le cas de division si l’un des deux travaille mal, ou « pire » s’il y avait sabotage « par malice » ! la confiance ne règne pas…
En 1782 se vend une « boutique » de tisserand au rez de chaussée de la maison Gilly. Les métiers à tisser ne manquaient pas dans le Laverq. On tissait des toiles de laine, ou laine et chanvre, avec la laine des moutons de la vallée. La production de « drap de ménage » habillait toute la famille, l’excédent a longtemps été vendu en Piémont, emporté par les colporteurs. En effet les draps produits n’étaient pas aux normes de France, de plus cette laine locale était jugée de mauvaise qualité en Provence : les bêtes passant l’hiver en étable, on la trouvait jaunie et même mal lavée à l’eau trop froide… quand le Duc de Savoie en a interdit l’importation lui aussi, ne restait plus que la contrebande, qui marchait pas mal dit-on. Les draps de laine étaient bien épais, les capes de berger solides et « à couper au couteau comme du cuir ».
Le chanvre était cultivé dans des « chenebiers », et roui à la source des « Naïs ». Tissé avec la laine il allégeait la toile des chemises de paysan, on en faisait aussi des couvertures ou des sacs solides et il était indispensable pour fabriquer les cordages. Mais cet artisanat local n’a pas résisté à la concurrence des autres filatures, et à l’arrivée du coton.
Le premier cadastre sur plan, dit napoléonien, en 1812 recense 4 maisons d’habitation et 3 bâtiments agricoles, dont le moulin, et 2 « sols de scierie » (les scieries étant simplement installées sous abri, sans « bâti »). Les maisons sont de catégorie modeste ; de plus, le fameux impôt foncier calculé sur le nombre de portes et fenêtres a sévi comme partout, plongeant les masures dans le noir : aux Tarroux 2 maisons avec 2 fenêtres et 2 maisons avec une seule fenêtre. Le hameau au 19ème siècle abrite encore des familles nombreuses, l’exploitation du bois y perdure. Les scieries Gilly et Roux continuent leur activité, mais elles doivent finalement déménager sur l’autre rive du Riou de La blanche, au hameau des Clarionds, vers 1860 pour la scierie Gilly, plus tard pour la scierie Roux en 1899. Le code forestier puis la concurrence industrielle auront tôt fait de les rayer toutes les deux de la carte.
Au 20ème siècle le hameau se vide, ne pouvant échapper à l’exode rural, les activités locales ne sont plus rentables, ni même viables, ne restera plus qu’une dizaine de vieux agriculteurs de montagne. Mais le hameau n’est pas à l’écart des fracas du monde ! En effet c’est là que va s’organiser l’un des premiers réseaux de la Résistance en Ubaye, grâce à l’engagement des frères Roux ; les premiers réfractaires du STO y trouveront un abri sûr. Fernand Casimir Roux va jouer un rôle très actif, aussi bien dans la transmission, l’organisation, que dans les opérations armées. Ce réseau sera soutenu par les quelques voisins qui restent tout autour.