L'école du soir
Il y avait aussi ces veillées éducatives qu’étaient les cours d’adultes ouverts à tous et que l’instituteur, mon grand-père, assurait régulièrement après sa journée de classe. Ainsi il entretenait les connaissances de base de tous ses anciens élèves…
C’est ainsi que Paul Cèze évoquait son grand-père dans un de ses livres, illustré de ses dessins.
Tous les enfants n’étaient pas scolarisés, ou quittaient l’école très tôt, après beaucoup d’absences pour les travaux des champs ou un emploi industriel. L’école est devenue gratuite et obligatoire après 1882, mais le problème de l’ instruction élémentaire a perduré longtemps.
Une évidence s’imposait dans l’intérêt de la nation, il fallait instruire le peuple, à la ville comme à la campagne, mais en surveillant bien ce qu’il étudie !
L’empereur Napoleon III déclare « dans le pays du suffrage universel, tout citoyen doit savoir lire et écrire ». Aussitôt les cours d’adultes fleurissent un peu partout en France : 594 506 auditeurs en 1866, répartis dans 23 000 communes. La mission de base est confiée aux instituteurs qui vont prendre la tâche très au sérieux.
Les jeunes gens sont les premiers visés par cette institution, bientôt rejoints par des hommes plus âgés ; les institutrices ouvrent des cours pour les femmes, puis la mixité est admise. Les cours sont essentiellement destinés à parfaire les connaissances de base comme le français et le calcul, et le « droit usuel ». Ils sont aussi complétés par la présentation des nouvelles techniques, agricoles et domestiques dans les campagnes, industrielles dans les villes.
Dans le département des Basses Alpes les cours pour adultes s’ouvrent très progressivement . La création et le fonctionnement étant à la charge des communes, la plupart d’entre elles s’estiment trop pauvres pour les assurer et tardent à les mettre en place mais, sous la pression gouvernementale et avec quelques participations départementales, les écoles s’ouvrent à tous les adultes après 1866 et perdureront jusqu’en 1938 à certains endroits.
A Méolans le conseil municipal vote en aout 1866 un crédit pour ouvrir des cours du soir permanents et gratuits dans les trois écoles de la commune, « considérant que les cours d’adultes pendant l’hiver produiront de précieux avantages à la population agricole et industrielle de la commune ».
Ainsi à l’hiver 1868/1869, l’instituteur Hyacinthe Derbez assure les séances à Méolans, Joseph Bellon celles du Laverq et Paul Leautier compte 12 personnes inscrites à Saint Barthélémy. A la même époque il y a 10 élèves qui retournent à l’école de Rioclar, à Revel. En 1870 un jeune instituteur de 22 ans, Joseph Arnaud , assure 6 heures de cours par semaine pendant 2 mois d’hiver au Laverq. On comptait même 4 adultes inscrits à la petite salle d’école des Agneliers, hameau dépendant d’ Uvernet, de l’autre côté de la Grande Séolane.
Pour 1871, le préfet des Basses Alpes a recensé dans son département 160 cours, donnés à 434 femmes et 1402 hommes par 20 institutrices et 93 instituteurs; un seul cours était payant, tous les autres gratuits.
Les instituteurs prennent leur mission très au sérieux, mais il n’y pas assez de crédits budgétaires, même nationaux, pour rémunérer ces heures supplémentaires, ni même pour leur rembourser des frais de fonctionnement à leur charge. Alors on leur accorde des distinctions, des petites primes ou des médailles. Sous le second empire la plus haute distinction est à l’effigie de Napoléon III, la seconde offerte par l’Impératrice et la troisième au nom de leur fils le Prince Impérial. Les médailles peuvent même être sponsorisées, il y a aussi des distributions de livres un peu partout et par tous les notables. Puis au fil des ans, comme la frappe et la remise des médailles compliquent un peu les sous-préfets, on permet de choisir l’équivalent en francs du prix de la médaille. On assiste alors à des remises de prix de 20 à 50F, guère plus qu’une journée de salaire. Le ministre accorde aussi à l’instituteur « dévoué » une semaine supplémentaire de congé à prendre juste avant les grandes vacances, ce qui arrange bien les familles, puisqu’à cette date les écoles se vident à cause des travaux des champs.
Ainsi à Allos, Melle Agnès Ferraire a assuré des cours du soir dès l’hiver 1872/73 à 13 auditeurs et auditrices à raison de 10 heures par semaine pendant 4 mois ; en 1882 elle a encore 11 personnes inscrites pour 15 heures par semaine et a obtenu de bons résultats, évalués régulièrement par l’inspecteur au cours de ses visites, ou par des diplômes obtenus par ses élèves. Après quelques prix annuels, sa carrière est couronnée par une médaille de la République en 1899, conservée par sa famille.
Pendant ce temps au Laverq , le jeune instituteur Eugène Amavet, âgé de 26 ans, réunit 9 adultes en 1880, avec 6 heures par semaine pendant 4 mois.
Philomène Ollivier poursuit l’enseignement aux jeunes gens des Clarionds pendant de longues années.
Les registres d’appel des auditeurs du cours du soir nous manquent, en revanche les lettres des maires adressées en préfecture à ce sujet sont conservées. En 1896 le maire de Méolans expose que l’instituteur Jean Berthoumieux a pu rassembler en hiver 25 jeunes gens au hameau de l’Abbaye, tous les lundis et mercredis malgré le mauvais temps, et même 40 à 50 personnes à ses conférences du samedi. Conférences que le maire a trouvées très intéressantes, aux sujets bien appropriés au pays et qu'il lui a demandé de faire aussi le dimanche en été. Jean Berthoumieux recevra une prime de 200F de la part du département et la médaille d’argent. Cette année là il n'y aura pas de premier prix (médaille vermeil) dans les Basses-Alpes. Comme l’enseignement pour adultes s’était diversifié et enrichi de nouvelles matières, cet instituteur voulait aussi apprendre la musique à ses auditeurs, déplorant que ceux-ci ne connaissent que des chansons paillardes ; ailleurs certains maîtres d'école commençaient à enseigner aux jeunes hommes la gymnastique et le tir, des concours étaient organisés. Jean Berthoumieux n’est pas resté longtemps au Laverq, ayant obtenu sa mutation pour son sud-ouest natal ; sa carrière fut courte, il décéda en 1914 à 45ans.
Les exemples d’instituteurs prenant leur tâche très au sérieux ne manquent pas. Un autre « hussard noir de la République », Jean Joseph Ricaud, enseignait au Lauzet à la fin du 19ème siècle, et nous verrons que sa récompense ne fut pas à la hauteur de son dévouement…