Les cabanes de la Séléta
Ces deux cabanes à 2250 mètres d'altitude témoignent d'un passé où ce quartier du vallon de la Blanche était pâturé. Deux immenses jas les jouxtent au nord (enceinte de pierres assemblée sur une hauteur d'environ un mètre).
Ces jas servaient à parquer les moutons à proximité des cabanes, pour la nuit et pour les protéger des attaques des loups.
Ces deux cabanes se trouvent au dessus de la forêt construites en pierres sèches, celle au nord très petite est adossée à une grosse pierre en grès d'Annot, l'autre au sud est un peu plus grande. Le lieu est très froid et venté et la vie des bergers devaient être très rude et austère.
Depuis 1986 ces terrains qui appartiennent à l'Etat et gérées par l'ONF ne sont plus pâturés.
La petite cabane au nord a été restaurée en 2000 par Guy et Laurent, ils ont monté sur leur dos des planches pour refaire la porte d'entrée qui avait disparu.
A gauche en 2003, la porte posée par Guy et Laurent - A droite en 2019
En 2002 l'association "l'Estive" réalisait sa première restauration de cabane en changeant la vieille toiture en bardeau de mélèze et faisant quelques restaurations.
Notre association du Laverq l'a bien consolidé cet été. C’est Yves et six scouts qui ont repris la toiture, consolidé l'entourage de la petite fenêtre et aussi les murs qui menaçaient. Ils ont posé la magnifique porte en mélèze réalisé avec amour par Jojo et héliporté fin juin. Espérons qu'elle va encore accueillir des générations de randonneurs.
La cabane qui la jouxte au sud menaçait de s'écrouler, la poutre centrale était cassée, et le mur ouest allait s'écrouler. L'association "l'Estive" l'a complètement démonté tout en rangeant bien sur les côtés les belles pierres de grès et a commencé à la remonter. En fin de saison elle prenait déjà fière allure et les travaux se termineront en 2023.
Michel Estavoyer nous conte avec sa verve un déplacement en famille pour rencontrer le berger en 1969
Bonne lecture et découverte des lieux, c'est une photo de ces cabanes avant restauration qui a été choisie pour illustrer la carte d'adhérent 2022_2023
Lucien
La cabane de la Séléta
Nous arrivions au matin. Le rendez-vous était à 9 heures. Mon épouse, moi-même et les 4 gamins devant. Le but était proche, à flanc de cette montagne de rochers, ce grès perlé de gris et de rose.
Le berger rencontré la veille et déjà comme un ami venant d’un long temps, nous avait dit à 9h à Séléta. Et pour que nous ne nous perdions pas depuis la cabane de Plan bas, il avait balisé le chemin de morceaux de papier journal aux points où il pouvait y avoir hésitation.
Nous y voilà. Il était là, planté droit. La lumière faisait comme se concentrer sur lui. Derrière lui, un trou ouvert dans un mur de pierres. C’était le trou de la porte de sa cabane de Séléta.
Là où, dans ces vastes étendus, il déplaçait le troupeau, il y a sa cabane, austère et petite. Sa bergerie d’en bas, à Plan bas, en regard était un château.
Malgré l’immense beauté du lieu, cet homme était là, debout devant ces pierres, on ne pouvait pas, ne pas se dire : comment il fait pour vivre là !? Oui il y vivait. En bas c’est peut-être une fois par semaine qu’il y redescendait. Pour se réapprovisionner en nourriture, que l’âne lui montait chaque 15 jours. Peut-être un peu aussi pour se changer d’air, histoire de se rapprocher de la vie des hommes, pourtant encore bien loin à l’Abbaye.
Ces pierres, ce mur de pierres, oui, là était bien son lieu de vie. Pas grand, de l’ordre de 2 m sur 3. Les pierres étaient montées à sec. Pas plus de 80 cm de large, bien moins. D’ailleurs en certains endroits la lumière s’y faufilait.
Cette cabane guère plus qu’un petit enclos était, « heureusement » couverte. Les chevrons sur lesquels posait le toit n’avaient rien de droit. Prélevés parmi les arbres du coin, ils n’étaient que de fortes branches, rustique, naturel, c’est tout.
Par-dessus des tôles. Ces larges tôles de zinc comme on les utilisait plus bas dans la vallée. Comme elles étaient grandes il n’en fallait pas trop. Ça évitait les joints qui peuvent laisser passer l’eau. D’ailleurs, sur les bords il y avait çà et là, fourrés, quelques morceaux de plastic qui venaient suppléer les vides.
L’intérieur on l'a vu. Sans insister. Façon de ne pas être dans une curiosité déplacée. Les pierres étaient apparentes bien sûr. Le mobilier, peu de souvenir qui ait fixé l’attention. A terre pour se coucher comme un plan en plancher avec au centre un matelas. Une sorte de foin. Avec des planches, pas vraiment dressées table et chaises, si on peut comme cela les appeler. Le nécessaire disait-on alors. Maintenant, on ne saurait plus qualifier.
Vivre là ? Dans cet intérieur ? Plusieurs jours en continu. Bien sûr surtout la nuit. Mais quand même ! Quand il pleuvait, les tôles protégeaient et en cas de tempête avec le plastic on pourvoyait les interstices. Mais si le vent s’en mêlait et ce devait être fréquent là-haut, les rafales devaient connaître les joints et s’y engouffrer…
Le vent, toujours là, c’est aussi avec les murs qu’il avait à faire. Pour lui passer en travers des pierres, il savait faire. Un abri de courants d’air ? Là aussi, il y avait des morceaux de plastic qui « bouchaient ». On pouvait espérer que la nuit il avait une bonne couverture pour se protéger. Vous savez une « couverture » qui était en fait d’anciennes capotes de l’armée.
Pour chauffer la nourriture, je ne sais plus s’il y avait un poêle. Je parierais plutôt pour « 4 pierres » et la fumée devait avoir un tuyau pour sortir par un trou du mur. Se chauffait-il lui aussi. ? Il y a des moments où il fait très froid là-haut ! Il ne nous en a rien dit. L’homme était résistant. Alors il résistait.
Avait-il un moyen de s’éclairer ? Une « lampe tempête ». En cas d’incident seulement. Le reste du temps, il se contentait de la lumière du jour et de la nuit.
Le berger vivait là. Fier d’être berger mais sans le montrer. Les moutons, eux, dans les intempéries, ils n’avaient que leur toison. Lui le berger il avait au moins sa cabane, sa cabane de berger.
A l’époque, en 1969, il s’appelait Rancurel le berger, si ma mémoire est bonne. Il était d’Aubagne. Dans le livre « Récits d’ici » j’en ai parlé.
Et la cabane c’était celle de la Séléta à 2250 mètres d'altitude.
Michel ESTAVOYER
Photos : Lucien, Gilles, Yves, Roland