L'instituteur et les politiciens
Joseph Ricaud a dirigé la classe de garçons au Lauzet pendant 10 ans, de 1892 à 1902. Il avait acquis une très bonne réputation, la confiance des habitants, du maire et même des autorités préfectorales qui tenaient les maîtres sous haute surveillance.
Mr Ricaud assure également la fonction de secrétaire de mairie ; il s’investit aussi dans les cours d’adultes et des « lectures-conférences », qualifiées d’agricoles ou « patriotiques ».
En 1896 le notaire Camille Combe, maire du Lauzet, rend compte au préfet en 1896 de sa satisfaction au sujet des cours d’adultes. Il écrit que les jeunes gens de sa commune ont besoin de prendre goût à des lectures enrichissantes, déplorant qu’ils ne s’intéressent pas assez aux affaires publiques : « Ils ont besoin, ces citoyens en herbe, qu’on leur fasse connaître leurs droits et surtout aimer leurs devoirs, qu’on secoue leur inertie, éveille leur jugement et leur donne la clairvoyance nécessaire pour qu’ils puissent se conduire en hommes honnêtes et en électeurs éclairés ». Eclairés ? au sens propre comme au figuré puisque le maire enchaîne sur les faibles moyens de Mr Ricaud qui assure l’éclairage et le chauffage des cours à ses frais, sans indemnité.
Le maire précise :« Ces leçons auraient eu plus d’attrait et auraient certainement attiré plus d’adultes si on avait pu y joindre des projections lumineuses. Malheureusement un appareil et des vues à projections sont coûteux… ». Demande déguisée, on a pu lire dans le Journal de Barcelonnette que des crédits nationaux ont été votés pour l’achat d’appareils à projection mis à disposition des départements et devant circuler dans les écoles.
Au printemps 1902 la vie de Joseph Ricaud bascule.
Fort de son esprit républicain et poussé par ses amis du Lauzet, Ricaud se présente aux élections législatives. Avec peu de moyens de campagne il essaye de mobiliser autour des idées nouvelles : un impôt sur le revenu, une caisse de retraite pour les travailleurs, le chemin de fer (qui n’arrivera jamais), tout en s’opposant aux politiciens parisiens en place… L’inspecteur des écoles, qui l’avait trouvé si bon instituteur, le trouve alors pitoyable et tout à fait inconvenant. Selon ce fonctionnaire zélé, Ricaud ose critiquer Mr Delombre le député sortant, si généreux, qui a offert à chaque école une affiche de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et tant de livres …et qui a voté à Paris pour les appareils lumineux, c’est écrit dans le journal. Hélas Ricaud a aussi des remarques désobligeantes sur Mrs René et Adrien Gassier du conseil général. Pire encore, au village sa femme tient des propos d’une extravagance « indigne d’une épouse d’instituteur »… Ricaud jette le déshonneur sur tout le personnel enseignant. L’inspecteur obséquieux se propose pour faire une visite d’excuse aux élus, afin qu’ils sachent bien que Ricaud n’est pas représentatif des autres fonctionnaires de l’éducation publique.
Joseph Ricaud se voit obligé de poser un congé de 2 mois sans solde pour faire campagne, il est aussitôt remplacé au Lauzet et perd sa place.
Malgré un score honorable au Lauzet où il obtient la majorité, il n’est pas élu dans la circonscription. A-t-il obtenu les quelques voix des « électeurs éclairés » qu’il a formés ? Eclairée ou non, la majorité a choisi Delombre !
Le Journal de Barcelonnette, organe politique de Delombre, annonce le même jour les résultats des élections et la mutation de Ricaud à Volx.
Joseph Ricaud est désespéré de quitter sa vallée. De plus il perd son logement, son complément de salaire de secrétaire de mairie et sa rémunération sera moindre à Volx, alors qu’il a 2 enfants et un jeune beau-frère orphelin à sa charge.
Les habitants du Lauzet croient bien faire en faisant circuler une pétition pour empêcher son départ, l’effet en est catastrophique. Delombre craint des troubles partisans, des bagarres d’enfants dans la classe ; il ne voudrait surtout pas être tenu pour responsable : si Ricaud a été muté c’est certainement pour raison professionnelle et non politique… ce qui touche encore plus l’instituteur. La toute jeune « Amicale Laïque des Instituteurs », prémices du syndicat enseignant, prend aussi sa défense auprès de l’administration, et là aussi le résultat est inverse au soutien recherché, l’inspecteur d’académie craint des remous dans le corps enseignant.
Ricaud avoue regretter de s’être engagé dans la politique, il tombe malade : ulcère de l’estomac, deux mois d’interruption pour cause de santé, il perd sa place à Volx. Il récupèrera difficilement quelques jours de salaire en retard, sur avis du ministre qui précise tout de même : « puisqu’il n’a commis aucune faute ».
Il ne retrouvera plus qu’un petit poste administratif de commis d’académie à Bourges pendant quelques mois, puis un autre à Oran d’où il ne reviendra jamais, et n’enseignera plus.
Généalogie :
Jean « Joseph » Ricaud est né à Uvernet, en 1862, fils de Jean Joseph Ricaud, du Villaret à Uvernet et de Marie Clotide Pellat, d’Allos.
Diplômé de l’école normale de Barcelonnette en 1884, il a enseigné à Jausiers, Montclar, puis Larche où il s’est marié avec Joséphine Reynaud en 1888. Il est décédé à Oran en 1920.
Sources : Archives Départementales des Alpes de Haute Provence 1T131, 1T132 et 1T345