Lous pouns
À la fin des années 80, en Vendée et donc loin de nos montagnes, je commis mon premier texte en provençal valéian. J’avais découvert quelque temps auparavant l’historiette de François JOUVE (1881 – 1968), un des grands prosateurs de la littérature provençale.
Le soir à la veillée, les gens venaient, parfois de loin, dans sa boulangerie de Carpentras, pour écouter ce conteur hors du commun, ce qui fit dire à Jean-Jacques BROUSSON, secrétaire d’Anatole FRANCE : « La Société des Nations se réunit maintenant au Four des Blondins » (surnom au pluriel car la boulangerie s’était transmise sur trois générations).
Son œuvre majeure reste Lou Papo di Fournié (Le Pape des Boulangers), un « roman héroïco-comique », lit-on dans la préface, situant l’action au temps des papes en Avignon. On ne peut résumer ce morceau d’anthologie, il faut le lire…
Et, c’est dans la revue Lou provençau à l’escolo que fut publié Souveni (1951), un souvenir d’enfance, occasion pour F. JOUVE de mettre en exergue le sens de l’économie des grands-mères d’antan tellement perdu de vue de nos jours, à tous les niveaux de la société.
L’historiette collait à la réalité de notre enfance puisque les noix de ce conte savoureux me rappelaient le devenir de nos pommes, l’hiver venu. Certes, c’est une réécriture, mais réalisée pour de bonnes causes : d’abord rendre hommage à F. JOUVE et à toutes nos grand-mères, enfin réaliser une modeste entrée dans l’écrit valéian.
La traduction du texte original en valéian, ci-après, suit immédiatement.
Lous pouns
Èra, me n’èn souvénou, èn 1957, l’an que lous Faucounèncs nous raoubéroun lou pòou d’àiga que lou béal nous adusié das Clots, l’an que tànti féas crebéroun dins la lusèrna, goùnflas coùme d’àses.
Li aviè encà’en fùble de moùnde à l’Adréch, aloùra. Pouviàn nous arrestàr, miéi qu’encuéi, pèr charràr dins éna dràia oum’én vesìn. Lou Plec passàva vèire moun Grand èn calànt d’Eilamount ; lou Doume mountàva quòouques cops èn trantaiànt, suppliànt Sant’Anna; soun àse, bèn embastà, l’assoustàva eirousamén à s’achampàr, de viàgis mài mouért que viéou.
Èn aquéou tèms de bounur e de secaréssa, Gabriéla, nouéstr’aoujòla devèrs maìre, avìé lou coumandamènt dou vergiér. « Chòou pas gaspilhàr lou butìn », nous repetàva souvént. L’ooutoùn arribà, nous chalié culìr pouns. Oumé moun fràire einè e ma souréta, n’èn fasiàn éna moulounàia, dès eimìnas[1] òou mèns.
Acò fach, las triaviàn segoùn la qualità : d’èn càire, las marrìas, puèi las mèns marrìas, e fin finàla, las quasimén bouénas. Las pourtaviàn lèou à la mèisoun d’Odila qu’èra pas en chastèou, vé ! e las coulinaviàn sus la pàlha de quòouquas viélhas armàris. Aquéous pouns fasién ensìn lou regàle de nouéstres goustaroùns de tout l’uvèrt.
I’avìé belèou en incounveniént : manjaviàn d’èn premiér las marrìas, las mèns marrìas quand l’éroun devengùas e las quasimén bouénas quand l’èroun pus pèr rèn.
Les pommes
C’était, je m’en souviens, en 1957, l’année que les gens de Faucon nous volèrent le peu d’eau que le canal nous amenait des Clots, l’année que tant de brebis crevèrent dans la luzerne, gonflées comme des ânes.
Il y avait encore beaucoup de monde à l’Adroit, alors. Nous pouvions nous arrêter, mieux qu’aujourd’hui, pour bavarder dans un chemin avec un voisin. Le Plec passait voir mon grand-père en descendant de Làhaut; le Doume montait quelque fois en titubant, suppliant Sainte Anne, et son âne bien bâté l’aidait heureusement à rentrer chez lui, parfois plus mort que vif.
À cette époque de bonheur et de sécheresse, Gabrielle, notre aïeule, du côté maternel, avait la direction du verger. « Il ne faut pas gaspiller le butin », nous répétait-elle souvent. L’automne arrivé, il nous fallait ramasser les pommes. Avec mon frère aîné et ma petite sœur, nous faisions un grand tas de pommes, deux décalitres au moins.
Cela fait, on les triait selon la qualité : d’un côté, les mauvaises, puis les moins mauvaises et, tout à la fin, les quasiment bonnes. Nous les portions vite à la maison d’Odile qui n’était pas un château, allez ! et nous les glissions sur la paille, dans de vieilles armoires. Ces pommes faisaient ainsi le régal de nos petits goûters de tout l’hiver.
Il y avait peut-être un inconvénient : nous mangions d’abord les mauvaises, les moins mauvaises quand elles l’étaient devenues et les quasiment bonnes quand elles ne l’étaient plus du tout.
[1] Hémine : mesure de capacité pour les grains, soit environ 22 litres (on dit aussi un « double »)