Quand on construisait tout en haut du Laverq
Les maisons se serraient les unes contre les autres tout en haut de la montagne, sur les derniers petits champs à la limite du roc stérile. Dans ces hameaux reliés par des sentiers de chèvres mais conçus comme des forteresses d’autrefois, on se sentait plus fort contre les éléments. Les granges devaient abriter le foin pour nourrir le bétail pendant six mois et il fallait encore un espace pour battre, si possible couvert ; autour et derrière les maisons d’habitation, on avait édifié de solides bâtiments agricoles qui abritaient l’indispensable.
On a peu de documents sur la construction des maisons du Laverq, mais il ne faut pas croire que chacun pouvait s’installer comme il voulait. Une transaction entre voisins, conclue en 1781, nous relate une affaire d’agrandissement qui pose bien des problèmes de voisinage, au plus haut du vallon du Laverq.
En cette fin du 18ème siècle, au hameau des Viels, cinq maisons se serrent en barre au-dessus du Riou de la Blanche de Laverq, sous les Séolanes. Sur le cadastre dit « napoléonien » on appelle ce quartier : Rendourière. Les bâtiments agricoles sont à l’arrière, accrochés à la pente.
Il y avait cinq familles au hameau en 1812 : deux familles Milles sur les parcelles 185 et 188, les Leydet sur la parcelle 190 au milieu, ensuite les Barthélémy sur la 192 et les Reynauds à gauche sur le plan numéro 195.
Vers 1780 Jean Leydet feu Jacques a les moyens d’agrandir son bâtiment agricole dans le haut de sa parcelle. Il nivèle le sol, déplace pierres et terre sans trop les évacuer, et empiète sur le chemin public. Il construit sur des piliers de bois, dépasse le niveau des autres bâtiments, et de ce fait l’eau dégouline sur les constructions attenantes de ses voisins. C’était avant le fameux « code civil », mais il y avait quand même des droits de propriété et le bon voisinage à respecter. Ses voisins, Jeanne Marie Maurin veuve Milles et Joseph Barthélémy sont obligés d’ester en justice ; malgré leurs faibles moyens ils saisissent le tribunal de Barcelonnette qui leur donne raison : Leydet doit se soumettre à un accord, il faut régler ce conflit entre bons pères de famille.
Au 16 aout 1781 il y a beaucoup de monde au Laverq, on se réunit chez Leydet entre voisins des Viels, avec quelques amis, et surtout en présence du notaire du vallon, Jean Baptiste Reynaud, qui va consigner les accords.
Jean Leydet doit payer les frais de justice déjà comptés, c’est sûr. Sinon il aura encore plus de dépens si on continue l’action. Et puis il devra débarrasser toutes les pierres et la terre qui gênent. Pas question de garder ces piliers de bois soutenant son bâtiment, il édifiera de bonnes murailles en pierre sèche comme les autres. Donc puisqu’il reconstruit, il reculera un peu pour laisser libre le chemin et ne pas faire déborder son toit de sa parcelle. Il fera aussi une bonne gargouille pour les eaux de pluie, prolongée par un petit canal pour drainer les bâtiments, aussi loin qu’il le faut pour les préserver du ruissellement. Les Barthélémy sont garantis de pouvoir surélever eux aussi leur petit chazal, si ils le veulent. Voilà donc le hameau des Viels configuré pour le siècle suivant.
Les maisons pouvaient tenir, mais pas les gens. De nos jours il ne reste que quelques ruines…
Vers 1920 tout le monde était parti : à lire ou relire sur le site :
https://www.laverq.net/actualites/derniers-habitants
On a déjà rencontré Jeanne Marie Maurin, des Agneliers (Hauts) sur Uvernet :
https://www.laverq.net/actualites/une-noce-aux-agneliers
Source : Archives Départementales des AHP cote 2E12229/M8 folio 029 à 031 et documents cadastraux. Un grand merci à Alain Jaubert pour les transcriptions.
Photos Lucien Tron