Supplique pour une chèvre
Quand les habitants du Laverq demandaient l’autorisation d’avoir une chèvre…
Le code forestier était entré en vigueur, bouleversant la vie des montagnards. Les bois communaux ne devaient plus être ruinés par les dents meurtrières des chèvres, leur interdiction était généralisée dans le Laverq.
Les 21 familles des plus hauts hameaux : Pied des Prats, Chastel, Esmarins et Viels présentent une pétition auprès de l’administration forestière pour obtenir une petite dérogation, leur demande est relayée par le conseil municipal dans une délibération du 2 mai 1836.
Les habitants exposent que « situés dans un pays montagneux privés de toute ressource commerciale, n’ayant pour l’entretien de leurs familles que le faible revenu de leurs terres labourables, ils se trouvent presque tous réduits à l’indigence, que la plupart n’ont souvent pour assaisonner les aliments nécessaires à leur famille que le lait de quelque chèvre qu’ils pourraient nourrir, que le pays qu’ils habitent est presque entièrement boisé et que par conséquent soumis au régime forestier , qu’ils se voient donc dans la nécessité, vu les ordonnances qui défendent l’entrée des chèvres dans les quartiers boisés et soumis au dit régime de se priver de garder et nourrir les dites chèvres qui pourraient seulement leur fournir un maigre assaisonnement pour la nourriture de leurs enfants ».
Les pétitionnaires demandent une autorisation de pacage sur une parcelle communale non boisée et envahie de genévriers, qui à leur avis n’aurait pas dû être incluse dans le périmètre soumis au code forestier, située entre la montagne pastorale de La Blanche, propriété privée louée aux transhumants, et le bois communal du Défend.
Et c’est avec un certain courage que le maire Joseph Félix Clariond fait voter un avis qui prend la défense de ses administrés face aux autorités :
« Le conseil est d’avis que le garde général des eaux et forêts veuille bien prendre la peine de se rendre dans la commune pour vérifier que les faits exposés dans la susdite supplique sont sincères et véritables et après avoir examiné les faits, le conseil espère que conjointement avec l’autorité supérieure il demande la soustraction dudit quartier, et vu le besoin urgent où sont les habitants de mener leurs chèvres au pâturage, de leur accorder une autorisation provisoire ».
Cette supplique si naïvement formulée peut faire sourire, mais elle procédait d’une réelle détresse sociale. Le Laverq n’a obtenu aucune dérogation. Puis la politique forestière s’est orientée vers un reboisement général, même sur les terres vagues et rocailleuses, il a fallu changer son mode vie…