Trop de neige
La neige est tombée en abondance pendant ce mois de décembre 1784. Un vent violent et glacial a formé des congères. Le chemin royal a été interrompu pendant dix jours entre Le Lauzet et Barcelonnette, ce qui est exceptionnel.
Le sieur Derbes, premier consul de la communauté de Méolans , appelle les habitants de Méolans à la corvée de déneigement. Mauvaise volonté ou froid excessif, les habitants ne se mobilisent pas assez, les chemins ne s’ouvrent pas. Malgré ces conditions dantesques, on voit arriver un émissaire de Barcelonnette qui apporte un ordre formel de réquisition. Les muletiers ont porté plainte, les autorités menacent d’envoyer des hommes aux dépens de la communauté de Méolans.

Le sieur Derbes commande donc aux habitants de Méolans, Godeissard et le Martinet, les plus proches du chemin royal, de sortir de chez eux et de venir travailler une journée entière. Pour les motiver, il prend une initiative sans mandat du conseil de communauté, il promet 20 sols à chacun. Il réunit ainsi 46 hommes de bonne volonté et le chemin est rouvert vers le 17 décembre.
Le 26 décembre se tient le conseil général de Méolans réunissant tous les quartiers ; le premier consul voudrait bien qu’on entérine sa proposition de gratification et qu’on honore sa promesse. Pour le conseil unanime, pas question de voter ce crédit, la communauté ne doit rien payer pour les chemins qui s’entretiennent de coutume par corvée ; hors de question d’introduire un nouvel usage qui deviendrait couteux pour les finances, critiques en ces temps très difficiles. Ceux qui ont travaillé à cette corvée seront dispensés d’une autre.
Le Sieur Derbes* proteste : s’il a promis 20 sols c’est à cause de la « quantité de besogne » et parce qu’il ne pouvait pas appeler tous les quartiers. Il va en référer à Monseigneur l’Intendant et suivra son avis.
Cet épisode peut nous paraître anecdotique, mais il est à resituer dans un contexte historique particulièrement difficile. Il intervient en pleine période d’aléas climatiques, de calamités entrainant pauvreté, crises frumentaires et bientôt famine. Cet épisode neigeux exceptionnel, dans un froid glacial, s’abattait sur tout le pays et faisait suite à de mauvaises récoltes. Il sera suivi d’une exceptionnelle sècheresse en 1785. On sait aujourd’hui que ce refroidissement est consécutif à l’éruption du volcan islandais Laki en juin 1783, qui a plongé l’Europe dans la désolation.
La vallée de Barcelonnette n’a pas été épargnée. Les archives du Parlement de Provence conservent les doléances des consuls datées de 1785 qui décrivent une pénurie totale pour la troisième année. La vallée n’a plus de céréales, les semences de blés ont été détruites au printemps et le seigle, dernier espoir, totalement anéanti en mai par une nouvelle gelée. Le fourrage n’est plus suffisant, la sécheresse a sévi tout l’été. La vallée obtient une baisse d’impôts, mais pas de secours, les caisses sont vides. Pourtant la royauté est attentive à cette région : on craint une expatriation des habitants, main d’œuvre et capitaux. Il a toujours été de l’intérêt du roi de France que les montagnes frontalières restent bien peuplées pour faire barrage à son ambitieux cousin de Savoie.
* Jean DERBES (ou DERBEZ) fils d’Honnoré et époux de Marie MARTELLY, parents du juge de paix Pierre DERBEZ
Source : registre AD04 cote 2 E 12191 transcrit par Alain Jaubert, que nous remercions. Photo neige et glace de Christophe Gaillard que nous remercions aussi.