Un mariage réhabilité
Les grands-parents paternels de Louis Versi Reynaud ont dû repasser devant Mr le Curé deux ans après leur première cérémonie de mariage, avec leur petit garçon né entre temps.
Jean Joseph Reynaud épouse Victoire Tron le 14 novembre 1780 au Laverq. La bénédiction nuptiale se fait semble-t-il dans le respect des règles de l’Eglise et donne lieu à un acte de mariage solennel des plus complets. On a respecté les publications, la confession, la communion et les autorisations parentales. Le futur époux est majeur il a 29 ans, contrairement à sa fiancée qui n’a que 19 ans, mais elle est accompagnée de son père. Le curé note aussi qu’une dispense de « consanguinité et affinité du 4ème degré » a été accordée par Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime Archevêque Prince d’Embrun le 3 Novembre, soit 11 jours auparavant. Et pourtant Jean Joseph Reynaud et Victoire Tron ne seront véritablement unis que le 13 mai 1783, dans cette même église du Laverq.
Seul le mariage religieux était valable sous l’ancien régime. Le droit canon ancien de l’Eglise Catholique prohibait le mariage en cas d’ancêtre commun jusqu’au 4ème degré de parenté, ce qui correspond aux arrière-arrière-grands-parents, soit le 8ème degré en droit civil actuel. Pour contourner cette interdiction les futurs époux devaient solliciter et obtenir une dispense de consanguinité accordée par l’évêque, et par le pape pour le 2ème degré : par exemple pour des cousins germains. A cela s’ajoutait encore tous les interdits par suite d’affinité spirituelle. En effet ces empêchements étaient étendus à tous les proches par alliance, puisque les mariés « ne font plus qu’un seul corps », aux parrains, marraines puisque ceux-ci deviennent des pères et mères auxiliaires… La liste était longue et réduisait de beaucoup la possibilité de trouver un conjoint dans son village, en particulier pour les veufs ou veuves voulant se remarier.
Le premier mariage des grands parents de Louis Versi devient « suspect »
La raison nous en est donnée dans l’acte paroissial : « on n’a pas retrouvé la dispense dans les registres de Monseigneur l’Archevêque d’Embrun ». Le mariage est heureusement réhabilité au cours d'une nouvelle cérémonie à laquelle participent quatre prêtres, dont l'un mandaté par l'archevêché. Alors pour ces nouvelles noces, il est présenté une lettre de dispense de consanguinité et affinité en date du 9 mai 1783, signée du Sieur Abbé de la Salette, vicaire général qui seconde l’archevêque d’Embrun. Le jeune couple a été victime d’une erreur administrative qui a dû leur occasionner des frais, et surtout qui aurait pu causer bien des problèmes à défaut de régularisation.
Lorsqu’un empêchement sans dispense est découvert après une bénédiction nuptiale, il y a « doute » sur le mariage. Le couple risque l’excommunication dans les cas les plus graves, homme et femme sont séparés, leurs enfants deviennent des « bâtards ». Bâtard était un statut social bien peu enviable sous l’ancien régime ; le bâtard ne pouvait pas hériter, ni témoigner, il était exclu des fonctions ecclésiastiques, et dans certaines provinces ne pouvait pas transmettre ses biens acquis qui revenaient au seigneur ou au roi…
En cas de doute, le curé qui a découvert la possible existence d’un empêchement sans dispense remplit un dossier d’instruction pour l’évêque qui statuera et ordonnera, dans le meilleur des cas, une réhabilitation publique du mariage au prône de la messe dominicale.
On trouve des exemples de réhabilitation dans les actes paroissiaux
A Uvernet c’est Pierre Proal et Marie Magdeleine Meyran qui doivent régulariser en 1776 leur bénédiction invalide de 1773. Il était temps, un enfant nait 3 mois plus tard.
En 1781 à Revel « des bruits se répandent », c’est écrit dans l’acte, le curé procède à ce qu’il appelle des « perquisitions » et constate que le couple Jacques Eyssautier et Rose Reynier de l’Aubrée est effectivement parent au 4ème degré, uni sans dispense l’année précédente ! Le mariage est réhabilité avec une dispense en bonne et due forme.
Alexandre Pascalis et Thérèse Arnaud auraient ainsi vécu 17 ans dans le péché de 1739 à 1756, avec leurs enfants, dans le petit hameau de Morjuan, à Uvernet, jusqu’à l’arrivée d’un curé suspicieux qui exige une dispense d’affinité.
Le 31 aout 1681 à Seyne, le prêtre consigne dans le registre des actes paroissiaux une lettre de l’évêché qu’il a lue en public dans l’église : Maître Guillaume Martin notaire royal et son épouse Catherine Margaillan, fille de notaire procureur du Roi ne seront pas excommuniés ; la réhabilitation de leur mariage contracté 18 ans auparavant est autorisée. La filiation de leurs nombreux enfants est régularisée.
Un autre acte de 1742, à Barcelonnette, nous donne encore quelques détails sur la procédure de régularisation des situations suspectes. Le doute plane sur l’alliance d’un sergent piémontais en garnison dans la ville, venu avec sa femme originaire de Savoie : Jean baptiste Imberty et Catherine Blanc se disent mariés depuis 10 ans, mais la rumeur court que le premier mari de la dame ne serait pas mort ! Il faut ordonner la séparation immédiate du couple, le curé obtient rapidement « une preuve irréfutable suite à ses perquisitions » .. Le premier mari est-il bien mort ? Pas de détail, mais l'évêque autorise une réhabilitation du mariage, et «la cérémonie doit se faire sans fête ni pompe afin d’éviter le scandale ».
Pour en savoir plus sur les dispenses :
Les futurs époux formulaient une « supplique » argumentée, accompagnée d’un véritable tableau de généalogie établi par le curé de la paroisse de chaque marié. Pour confirmer les motifs ils devaient faire témoigner au moins 4 villageois indépendants : ni leurs proches, ni leurs domestiques. Grâce à des dossiers de dispenses conservés et publiés par des services publics d’Archives Départementales on a des exemples de motifs invoqués. Ils sont souvent d’ordre économique, comme la gestion d’un patrimoine, la qualification de la future épouse pour épouser un marin (dans le département de La Manche) ou un vigneron dans les régions viticoles. L’intérêt économique est facilement pris en compte car on insiste sur le fait que le mariage permettra d’élever dignement de nombreux enfants. Mais il y a aussi des motifs d’ordre affectif : intérêt des enfants dans le remariage du parent veuf, ou d’ordre social : « fréquentation » entre futurs époux qu’il faut absolument régulariser. La décision de l’évêque était communiquée par une lettre, sans détails ni motifs, qui autorisait simplement le curé à célébrer l’union. Les actes de mariage de la paroisse devaient faire référence à cette autorisation. Il n’est pas rare que tout le dossier et la lettre soit rédigés en latin puisque destinés uniquement aux ecclésiastiques.
Toutefois chaque dispense avait un prix et était accordée moyennant une certaine somme à l’Eglise. Une abondante littérature du 18èmesiècle expose les procédures à l’usage des familles nobles ou nanties pour obtenir une dispense. Et on ne s’étonnera pas de ne trouver aucun mariage entre cousins germains sous l’ancien régime au Laverq, il suffit d’imaginer le prix d’une lettre au pape.
Marie Christine
Sources : - les actes paroissiaux sur le site des Archives Départementales des AHP, et sur notre site avec transcription, - les relevés du Cercle Généalogique des AHP. Dessin Nathalie Duval.