Un patriarche aux Reynauds
Un homme a marqué l'histoire du Laverq au 18ème siècle
Dominique Reynaud feu Julien est revenu au Laverq en 1714, à l’âge de 27 ans, après plusieurs années d’absence du pays, pour commercer en Languedoc et Provence. Il reprend le patrimoine de ses parents à la place de son frère ainé Jean Baptiste qui ne reviendra jamais. Il s’installe au hameau des Reynauds, pour y vivre jusqu’à sa mort, à 73 ans en 1760. Au fil des ans il va racheter les terres et les bâtiments de son père vendus par nécessité pendant sa minorité, il lui faudra aussi rembourser de nombreuses dettes et régler les conflits avec les voisins. On lui confie des responsabilités importantes au sein de la communauté, preuve de sérieux et de compétence. Sa descendance sera nombreuse, il a marqué l’histoire du Laverq.
Un de ses fils, Jean Baptiste Reynaud, est devenu notaire et on ne s’étonnera pas de cette vocation, vu le nombre d’actes dans lesquels figure son père, pour ses affaires ou celles de la communauté, ou encore comme délégué ou témoin.
Les affaires patrimoniales
L’ambiance familiale pendant la jeunesse de Dominique ne semble pas toujours idyllique. Son frère avait déjà contesté les comptes de tutelle, mais il faut quand même les régler. Tout le monde réclame quelque chose en exhibant une facture, un contrat ou un testament vieux de plusieurs décennies, et la succession des grands parents n’est même pas réglée. Les beaux frères veulent la dot de leur femme, le notaire ses crédits, la communauté ses impôts, le curé et l’évêque leur dime. Nous avons connaissance de la plupart de ces affaires dans le menu détail, grâce aux actes consignés chez le notaire. Ces actes avaient force de loi pour les familles, mais il arrivait aussi qu’un document sous seing privé soit cité et reconnu comme valable. Le grand-père paternel de Dominique s’en était bien méfié. Dans un dernier testament devant témoins et notaire, en 1681, il avait fait rédiger cette clause exceptionnelle, mais explicite : «le testateur déclare sous serment les Ecritures corporellement touchées en mains de moi-dit notaire, que se trouvant à la ville de Manosque en Provence dans la maison de son frère Louis le jour du 6/09/1678, il fut requis par son dit frère de faire une signature au bas d’une feuille de papier blanc, disant qu’il voulait coucher sur le dit feuillet une lettre missive adressée par le testateur à ses enfants qui font résidence en Languedoc, pour les instruire de la nouvelle de bon état de leur père et du restant de la famille, et au cas que sur le feuillet s’estoit couchée quelque obligation de grande ou petite somme, dès maintenant il la désattribue et déclare pour nulle son tenant ».
Beaucoup de biens seront rachetés par Dominique : la maison aux Reynauds dès 1714, puis diverses parcelles qui viendront agrandir l’exploitation. En 1718 un conflit l’oppose à un autre propriétaire pour son droit d’arrosage avec l’eau du Bachas, le torrent qui coule à proximité. Pour éviter un procès couteux, il s’en remet à l’arbitrage du juge local, le baïle, qui rend un jugement de Salomon : ils arroseront 1 jour sur 2 chacun… En 1732 il achète au hameau des Martels une des deux maisons, avec grange, écurie, chenevrier (pour la culture du chanvre), un aire à battre et une chaulière (petite construction pour conserver les récoltes de légumes). Dans les actes d’achats de parcelles de terre, on découvre les cultures de l’époque : foin, seigle, bon blé, ou méteil (mélange), choux et lentilles. Les parcelles sont bordées d’arbres «domestiques ou sauvages » et des mélèzes sont signalés. Paille et fumier sont précieux et se partagent méthodiquement lors des transactions, au même titre que les récoltes…
Dominique est un élu apprécié
Pendant plusieurs années Dominique est élu consul par la communauté de Méolans : deux personnes, élues premier et deuxième consul pour l’ année, faisaient office de maire et adjoint. Il y a aussi des assemblées de paroissiens, des assemblées du quartier de Laverq et des confréries, Dominique va enchainer les conseils, les délégations à Barcelonnette, à Embrun pour l’évêque… de même qu’il assiste le baïle dans les jugements, à lui maintenant de surveiller les tutelles. Les finances et le règlement des dettes de la communauté vont lui donner bien des soucis, exposés dans les délibérations.
La tâche n’est pas de tout repos, une vingtaine d’années durant. Si bien que le 21 février 1745 il demande à être remplacé. Ce jour-là on annonce au conseil le décès de Jean Honnoré feu Joseph, à seulement 45 ans, avec qui Dominique gère les affaires de la communauté depuis quelques années. Il semble très affecté et explique qu’il est lui-même fatigué. Selon l’expression de l’époque « il est cassé de vieillesse, et hors d’état de remplir la fonction avec toute l’exactitude que les cas le demandent ». Les deux lieues à parcourir de chez lui à Méolans en toute saison, et pour des conseils de plus en plus nombreux, cela commence à lui peser fortement. Il a dû prendre une chambre à Méolans pour éviter quelques voyages pénibles, mais cela ne suffit pas à simplifier sa tâche. On l’implore, il sera consul encore 2 ans ! Et cette période n’est pas facile, c’est la guerre de succession d’Autriche.
Une famille recomposée et une descendance nombreuse
Dominique Reynaud feu Julien a épousé Marie Honnoré, qui était veuve de Joseph Clariond et avait déjà des enfants. Devenu veuf, il s’est remarié avec Marie Bonenfant, veuve de Jacques Clariond, qui avait aussi des enfants. Sa maisonnée est pleine de jeunes Clariond, auxquels viennent s’ajouter ses propres enfants. Les descendants de Dominique sont très nombreux. Sur les 3 siècles qui nous séparent de lui, en comptant une bonne dizaine de générations éparpillées dans le monde entier, cela fait beaucoup d’individus. Les patronymes sont divers et on soulignera qu’ils ont tous changé au 19ème siècle, suivant la phonétique du lieu et de l’époque. Ainsi le patronyme « REINAUD » que signait Dominique a pris d’autres formes. On prononçait probablement son nom « reilnaou » pour les hommes et « reilnaoude » pour les femmes. Deux petits points sur le i dans certaines signatures le confirme, d’où le y apparu dans la forme moderne et francisée de Reynaud.
Photos collection Lucien Tron
Sources : série Archives Départementales des Alpes de Haute Provence, série 2E