Une alerte aux orages
Eté 2023, une alerte météo a été diffusée : « risque non négligeable d’orages violents avec possibles supercellules grêligènes ». C’est l’occasion de se remémorer la pratique ancienne de « la cloche du tonnerre ».
L’affaire nous est contée par une délibération du conseil de quartier du Laverq, réuni le premier juillet 1736 à l’Abbaye. Les habitants sont mécontents de leur curé, toujours absent malgré leurs efforts d’amélioration de l’église et du presbytère :
« Le temps paraissant courroucé et menaçant quelque orage, Joseph AMAVET feu Charles qui est chargé par ledit quartier de sonner les cloches à pareilles occasions, fut demander la clef de l’église à la servante dudit Sr Curé, la porte de l’église étant fermée, ladite servante répondit audit AMAVET qu’elle ne pouvait la luy bailler, et que le Sieur Curé avant son départ luy avait défendu de laisser sonner les cloches…
… L’église a toujours été fermée jusqu’au 29/06 au matin que ledit Sr Curé vint du Lauzet, sans que AMAVET ny autre n’ait pu sonner les cloches soit pour l’angélus soir et matin que pour le temps courroucé et que Charles COLOMB feu Jean a été obligé, pendant l’absence dudit Sr Curé de la paroisse, d’aller faire baptiser un sien enfant à Méolans… »
Voici donc une drôle de fonction pour Joseph Amavet. Il est le proche voisin de l’église.
A cette époque Joseph a déjà 65 ans. On l’a chargé de sonner les cloches et même la cloche du tonnerre. En cas d’orage, pour avertir les jeunes aux champs et les faire rentrer avec les bêtes ? Pas seulement, c’était aussi pour éloigner la grêle et la foudre si redoutées. Drôle d’idée, mais au Laverq on n’était pas les seuls à carillonner à toute volée sous l’orage.
Superstition ou religion ? Dans toute l’Europe chrétienne à cette époque on sonne les cloches à la volée pour détourner les intempéries et protéger les récoltes. Certaines cloches étaient jugées particulièrement efficaces. Les « scientifiques » pensaient que les vibrations et le son pouvaient dévier les tempêtes. Mais la pratique n’était pas sans danger, on sonnait trop longtemps et en des moments inopportuns, c’était avant l’invention du paratonnerre, le sonneur risquait d’être foudroyé.
Un exemple est resté célèbre. Pour protéger ses vignes, le seigneur de Guerchy en Bourgogne réorganise en 1778 un rôle déjà très ancien : 12 brigades de 10 à 14 sonneurs de cloches qui doivent être disponibles jour et nuit sous peine d’amende pour carillonner afin de « prévenir » les orages . Les sonneurs seront personnellement responsables des dégâts de l’orage en cas de manquement (c’est bien plus sûr qu’une assurance). Le système du carillon perdure jusqu’en 1834, année où la foudre s’abat sur leur clocher, enflamme la charpente, blessant des sonneurs de la brigade et faisant fuir les autres. La tradition s’éteint alors avec l’incendie du clocher et sa ruine complète.
On accordait un peu trop de confiance dans la protection des cloches, les accidents mortels s’étaient multipliés. En Alsace, comme en Suisse ou en Allemagne il y avait eu des sonneurs foudroyés. Finalement un peu partout les autorités interdisent cette pratique, en France ce sera sous la Monarchie de Juillet. Cependant la croyance est bien ancrée, en 1910 on déplore encore un décès de sonneur de la cloche du tonnerre dans l’Aveyron.
source délibération : Archives Départementales des Alpes de Haute Provence,
photo registre :