Une curieuse coutume à la Saint Jean
Nos voisins du Lauzet-Ubaye respectaient encore fin 19ème un rite de protection contre le vent marin qui amène orages et grêle
"De temps immémorial, chaque année, à la Saint Jean, les habitants des hameaux partent en procession à deux heures du matin, dévalent au LAUZET, d’où la population entière s’achemine en chantant des psaumes, clergé en tête, les hommes coiffés de la cagoule et revêtus de la chemise des pénitents blancs, et les femmes voilées de blanc.
Après la bénédiction du lac du Lauzet, la procession s’élève en serpentant sur les pentes raides de la montagne de la Blanche, toujours chantant des psaumes et des litanies sur des airs primitifs qui ressemblent aux chants arabes. En deux heures on arrive à un petit plateau, le Seuil, où la messe se dit à une chapelle en ruine. Puis la procession et les chants recommencent et se traînent quatre heures durant, en continuant l’abrupte ascension de la montagne.
On arrive vers midi au Col-Bas. Là, plus un arbre, plus un arbuste ; la montagne pastorale, au maigre gazon, percée de rochers, et, au creux des vallons, trois petits lacs, peuplés de tritons, cet étrange amphibien, voisin des salamandres. On arrive au lac du milieu, le Lac Vert, auprès duquel une croix en pierre a été placée sur une pierre levée de grès nummulitique, plantée sur sa pointe et qui paraît préhistorique. Le curé bénit le lac, puis les chants recommencent et la procession grimpe au lac supérieur, le Lac Noir, dont elle fait trois fois le tour.
A ce moment le curé s’arrête, ramasse une pierre, la bénit et la jette dans le lac. Aussitôt, pénitents blancs, femmes, enfants, ramassent les pierres qui ne manquent pas et les jettent dans le lac en poussant de formidables « houhou ! houhou ! » avec une vraie rage. Pendant que le curé asperge d’eau bénite les flots troublés, un vieillard l’excite par ces mots :
« Manda n’én bén aquéou guzas qué nous manda las grelas à lous nivoulas. »
« Jetez en bien à ce gueux qui nous envoie les grêles et les orages. »
Personne ne rit ; tous ont cette mine sérieuse et tenace du paysan défendant sa terre.
La procession redescend enfin au Lac Vert, où elle trouve 360 miches de pain que la municipalité du Lauzet envoie de temps immémorial pour cette cérémonie, et que les préfets successifs doivent être bien surpris de trouver dans les budgets, mais qu’ils n’arriveront pas à en chasser.
Plusieurs curés ont essayé de se refuser à cette cérémonie aux allures peu orthodoxes, mais aucun d’eux ne l’a tenté deux fois. On les aurait jetés eux-mêmes au fond du Lac Noir plutôt que d’abandonner cette coutume antique."
Sources : "Communication de Mr ARNAUD", lue à la séance de la Société d’Anthropologie de Paris du 6 décembre 1888 (extrait).
Randonnée des lacs du Col-Bas par le Lauzet :