Une honnête discussion
Francis Beynet, le neveu de Marie, était un vieux garçon qui avait roulé sa bosse dans sa jeunesse. Il avait appris l’anglais avec la méthode Assimil en écoutant en boucle des disques vinyle, puis était parti du côté de l’océan Pacifique, jusque dans les îles de Nouvelles-Hébrides, armé d’une lettre de recommandation pour un responsable des PTT, qui s’avéra avoir avalé son bulletin de naissance lorsqu’il arriva. Désemparé, Francis finit copra maker à Port-Vila.
Après cette folle jeunesse et quelques années à jouer ensuite au libraire à Mont-Louis près de la frontière espagnole, puis aux Issambres sur la Côte d’Azur, il était rentré chez lui, à Saint-Geniez, pour n’en plus jamais repartir, si ce n’est dans la dernière ambulance.
Francis lisait beaucoup, c’était un érudit, qui aimait bien prendre les autres à leur propre jeu, surtout s’ils étaient trop bien habillés et s’ils parlaient pointu. En bon Bas-alpin, il préférait ses concitoyens aux estrangers, qu’ils soient de Paris ou seulement de Marseille. Et quoi de plus jouissif que de jouer un bon tour à un estranger ? D’ailleurs, si vous demandez un coin à champignons à un Bas-alpin, peut-être sera-t-il judicieux d’aller dans la direction opposée à celle qu’il vous indique, sait-on jamais.
Un jour, un estranger piqué d’histoire locale et désireux d’écrire un livre, s’enquit auprès de Francis, en tant que figure locale et ancien du village, d’anecdotes anciennes.
– C’est qu’à l’époque, on avait du poisson, lui dit-il.
– Comment ça du poisson ?
– Ben oui, celui qu’on pêchait dans le lac.
– Quel lac ? Il n’y a pas de lac par ici ! lui dit l’estranger tout estomaqué.
– Hélas ! Il a disparu ! Plus d’eau, tout asséché, lui répondit le Francis, des trémolos dans la voix. Pensez, mon grand-père encore y pêchait ! D’ailleurs j’ai toujours ses filets dans mon grenier.
Et l’estranger de relater ce fait incroyable dans son estimable bouquin...
Prendre l’air con et voir qui s’y laissera attraper, c’est un sport.
Esther Jules
Extrait de son livre : « Saint-Geniez de Dromon
Un village de Provence
Photographies, fragments d’histoire, anecdotes »
Nous remercions Esther pour son aimable participation et recommandons vivement la lecture de son livre, très agréable et richement illustré de belles photographies.
Cette page est particulièrement dédiée à Lucien Tron, notre président, qui a eu à cœur d’enregistrer le témoignage des ainés…Mais rassurons tout de suite nos lecteurs : pour Lucien qui n’a vraiment pas l’accent pointu, il ne devrait pas y avoir de grosse blague dans les interviews !