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Une transhumance pour Giono

Publié par Marie Christine Duval le mardi 15 octobre 2024

Pour son film L’eau vive, Jean Giono avait la jeune actrice idéale, une musique qui allait devenir un succès, et le décor extraordinaire de l’aménagement du barrage de Serre-Ponçon sur la Durance. Il lui fallait aussi des moutons, figurants indispensables, d’autant plus qu’il avait l’intention de glisser une transhumance dans son scénario. Connaissant l’attachement emblématique de Giono pour la transhumance, on se doute qu’il a suivi de près le casting et la direction de la troupe moutonnière. Le berger qui a vécu cette aventure cinématographique, avec son frère et leur troupeau, a écrit ses mémoires, qui ont eu un certain succès dans la grande famille du pastoralisme de notre région. C’est Marcel Clariond qui nous parlait de ce livre lors d’une sortie découverte.

giono serre ponçon .ina.fr

Au printemps 1956, juste après le grand gel, la famille Ventre reçoit la visite de Jean Giono en personne, envoyé par « le Président du Mérinos » (le président du syndicat ovin). Giono explique qu’il veut filmer une transhumance traditionnelle. On lui réplique qu’il arrive bien trop tard, plus personne ne se déplace à pied, tout le monde transhume en train. Seul le père de famille a connu les vieilles traditions; originaire de Colmars-les Alpes il est désormais établi près d’Arles où il a du mal à maintenir son activité pastorale entre la plaine de la Crau et la montagne. En revanche, son fils Julien rêve de revivre la Routo dont il a toujours entendu parler, finalement la famille se laisse convaincre.

 Et c’est le grand départ, on a toujours le vieux matériel, notamment la vieille charrette qui ne servait que pour aller à la gare… tout le monde embarque quand même en train jusqu’à Gap. Giono voulait 3000 moutons, on lui en a trouvé quelques 2800 seulement, mais personne ne les recompte. L’arrivée dans Gap sème une belle pagaille, jusqu’à ce que le troupeau atteigne les bords froids et humides de la Durance. Evidemment le champ d’herbe prévu ne sera pas suffisant, il faudra que les brebis se contentent des quelques feuilles des vignes condamnées à être submergées en amont du barrage. On filme la descente des alpages, en plein mois de juin, avec des brebis tondues, c’est la magie du cinéma ! Mais pour quelques minutes de prises de vue bergers et moutons pataugent misérablement pendant trois jours dans la boue des chantiers. Ordres, contrordres des techniciens, retard des comédiens : les bergers fatigués et tout le troupeau doivent virevolter sans cesse.

L’eau qui avance… L’engloutissement…

Une scène culte se situe dans la rue de Savines : le flot laineux du troupeau doit figurer l’eau qui se répandra bientôt. Le troupeau est parqué la veille au soir dans les rues du village, pour être filmé au petit jour. Pour respecter le scenario le troupeau doit avancer tout seul, sans berger devant, sans meneur. Alors là Julien Ventre, exténué, se montre un peu dubitatif :  « On verra bien…Lorsque nous nous sommes retirés pour laisser les moutons s’avancer tous seuls, un moment d’hésitation s’est produit dans les premiers rangs moutonnants. Deux ou trois vieilles brebis ont levé la tête en bougeant les oreilles, se sont regardées, et ont eu l’air de se dire : oh ! Ils ne veulent plus y aller ? Eh bêêêê, nous, on y va à la montagne… Sur ce, une brebis a ouvert la marche, une autre lui a emboité le pas, une troisième les a suivies et toutes la moutonnaille a bientôt envahi la rue ».

 Hélas le scenario n’a pas pu être totalement respecté dans sa forme première, la transhumance n’aura pas d’autre évocation, car l’année suivante le déplacement est interdit par les autorités, fin du tournage pour les figurants pastoraux.

 Julien Ventre n’a donc pas pu revivre une transhumance comme ses parents la pratiquait, mais il a vécu une expérience hors norme. Son frère a moins apprécié « l’aventure artistico-moutonnière » et a boudé l’avant-première du film.

Extrait du livre : « L’étoile du pastre, paroles d’un berger de Provence »,  Julien Ventre.

A voir sur le site de l’INA le reportage sur le tournage du film, ainsi qu’une séquence allégorique sur les travaux du barrage de Serre-Ponçon, au son de la Walkyrie, avec Giono en spectateur inquiet.

 

 

 

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